Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 97 - 99
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024201
Published online 31 January 2025

Au cours de l’année 2019, une équipe de scientifiques est parvenue à reconstituer la voix d’une momie égyptienne, appelée Nesyamun, vieille de 3 000 ans. Grâce aux nouvelles techniques d’impression en trois dimensions (3D) et à l’ingénierie informatique, il a été possible de reproduire son conduit vocal et de lui faire «  prononcer  » une syllabe [1]. Au-delà de l’exploit scientifique, et de l’intérêt médiatique qu’il a suscité, cette avancée permet d’alimenter nos connaissances dans le domaine de la médecine, grâce aux nouvelles techniques et aux méthodes innovantes employées dans la recherche sur les momies anciennes, des restes humains au statut particulier. Cette étude est également l’occasion d’aborder des aspects éthiques à propos des corps morts et de leur utilisation à des fins de recherche.

Faire parler les morts

Les corps momifiés ont toujours fasciné les chercheurs. En 2016, une étude avait tenté de reconstituer la voix de la momie Ötzi (morte il y a plus de 5 300 ans), qui date de la période finale du Néolithique (vers 3 200 ans avant J.-C.). Les chercheurs indiquaient alors qu’il s’agissait d’une approximation de la voix de cette momie, et qu’ils ne prétendaient pas s’approcher de la réalité. En effet, cette momie est beaucoup plus ancienne que celles découvertes en Égypte, et les tissus de son conduit vocal étaient très dégradés. De plus, la position d’Ötzi, le bras écrasant la gorge, rendait les scanners et les reconstitutions de cette partie du corps particulièrement complexes. Enfin, l’os hyoïde, qui est utilisé pour reconstituer en partie les conduits vocaux de momies, voire des fossiles humains, était partiellement détruit. Néanmoins, il a été possible de mesurer fidèlement la longueur du conduit vocal et des cordes vocales d’Ötzi, ce qui a permis d’obtenir une approximation du conduit vocal dans sa globalité. En utilisant le logiciel VocalTractLab, et en y incorporant les données propres à cette reconstitution, des sons ont été produits. Malheureusement, le manque de données quant aux structures anatomiques de la momie ne permettait qu’une approximation imprécise de son conduit vocal, et les sons ainsi reconstitués sont plus de l’ordre de l’illustration sonore que de la réalité phonique [2].

Les résultats furent bien plus satisfaisants, quelques années plus tard, avec la momie Nesyamun. En effet, grâce à l’état de conservation de cette momie égyptienne (bien meilleur que celui de la momie Ötzi), aux nouvelles techniques utilisées, en particulier l’emploi de l’impression 3D, et aux avancées faites grâce à Ötzi, la voix reconstituée de cette momie égyptienne est à la fois plus précise et vraisemblablement plus proche de la réalité.

Contexte historique et archéologique

Cette momie vieille de 3 000 ans, découverte sur le site de Karnak au xixe siècle, est depuis 1823 conservée au musée de Leeds, au Royaume-Uni. Depuis l’ouverture du sarcophage en 1824, la momie a fait l’objet de différentes recherches au fil des ans. Puisqu’il s’agit d’un corps momifié, l’état de conservation de ses os et de certaines parties molles est complet. Cette singularité, associée à l’émergence de nouvelles techniques, a permis d’entreprendre une série d’analyses, dont un examen radiographique en 1931. La momie a ensuite été explorée par endoscopie dans deux facultés de médecine, celle de Sheffield en 1964, puis celle de Manchester en 1990. Ces examens ont permis d’appréhender le mode de vie de cette momie et d’obtenir des informations sur son âge au décès, estimé autour de cinquante ans. Les chercheurs ont pu observer que Nesyanum souffrait d’une maladie des gencives et possédait des dents très usées. Son prénom, Nesyanum, est écrit en hiéroglyphes sur les contours du sarcophage. D’après les diverses recherches effectuées sur la momie, nous savons aujourd’hui que cet égyptien était contemporain du règne de Ramsès XI (entre 1099 et 1069 avant J.-C.). Ces études concernant la datation ont été étoffées par les chercheurs du musée de Leeds depuis 2002. De plus, la découverte de textes écrits par Nesyanum et les connaissances sur l’Égypte ancienne ont montré que cette momie était non seulement un prêtre, mais également un scribe au temple de Karnak. Ainsi, l’utilisation de sa voix était un élément central de son activité au temple, notamment lors de cérémonies chantées [3].

L’étude de 2019 est consacrée entièrement aux cordes vocales de la momie Nesyanum, et plus particulièrement à la matérialisation de sa voix, dans un projet intitulé «  Voice from the past  ». Grâce en grande partie au rite fondamental de la momification1 dans la religion égyptienne, les cordes vocales de Nesyanum ont pu être majoritairement bien conservées [4].

Du corps à la voix : la reconstitution du tractus vocal d’une momie

Bien que cette momie du prêtre date de 3 000 ans, elle est bien conservée grâce aux techniques d’embaumement de l’Égypte antique. Le canal vocal est présent et n’est pas déformé, mais les tissus mous, tels que la langue et le palais, sont manquants ou endommagés par le temps. L’imagerie médicale [5] a permis de proposer des dimensions du canal vocal, et la tomodensitométrie2 [6] a pu en authentifier la bonne conservation [1]. L’étude portant sur le canal vocal (du larynx à la cavité buccale), a permis ensuite de synthétiser un son tel qu’émis par cette structure.

Le mécanisme de la parole est une fonction motrice dictée par le cerveau. L’action est programmée dans le cortex prémoteur, puis l’information est transmise au cortex moteur, qui exécute l’action. Cette action, qui ne peut naturellement plus être effectuée après le décès de l’individu, a été reproduite de manière numérique [1]. L’appareil vocal humain (Figure 1) comporte trois résonateurs : le pharynx, la cavité buccale et la cavité nasale. L’air expiré des poumons permet la production d’un son en passant par le canal vocal. Les cordes vocales se mettent en mouvement au passage du souffle. Elles s’écartent et vibrent, ce qui produit un son en variant l’intonation. Le voile du palais se relève ou s’abaisse et permet de moduler l’accès aux fosses nasales. Ce souffle se transforme alors en un son qui résonne dans le canal vocal. Cependant, la production d’un mot ne peut se faire sans le mouvement des lèvres. Ainsi, c’est l’ensemble de ces mouvements coordonnés qui permet la phonation. Dans le cas qui nous intéresse, la voix de la momie a pu être reconstituée, puisque le canal vocal et certains tissus mous ont été bien conservés, mais la production du mot reste impossible sans le mouvement des lèvres [7].

thumbnail Figure 1.

L’appareil phonatoire humain. A. Schéma en vue latérale. La partie reconstituée en 3D est indiquée par le cadre bleu (crédit : Lucie Poveda). B. Représentation en 3D de l’appareil phonatoire en vue latérale et en vue antérieure (crédit : essential anatomy 3).

Compte tenu de la relativement bonne conservation des cordes vocales par le processus de momification, il a été possible de réaliser un scanner en tomodensitométrie pour visualiser leur structure en 3D. Pour cette expérimentation, les chercheurs ont utilisé la tomodensitométrie hélicoïdale à haute résolution [5, 6]. Grâce aux mesures précises obtenues à partir de cette technique d’imagerie, les scientifiques ont reconstitué le tractus vocal de la momie. Ils ont pu ensuite l’imprimer en 3D avec une erreur d’impression linéaire maximale de 200 µm, ce qui a permis une reconstitution proche de l’organe vocal d’origine [8, 9].

À partir de la modélisation en 3D du tractus vocal de la momie, les chercheurs ont utilisé la méthode «  Vocal Tract Organ  » pour produire un son à partir du modèle imprimé, relié à un haut-parleur. Cette méthode a vu le jour en 2017, en remplacement de l’ancienne méthode «  Vox Humana  », beaucoup moins précise. Le son obtenu est ensuite analysé par un logiciel permettant de caractériser ses différentes fréquences constitutives. Quatre différents pics de fréquence vont être étudiés, qui correspondent à quatre formants3 représentant les résonances du conduit vocal. Les différentes fréquences de formants sont analysées à l’aide d’un logiciel qui permet la manipulation ainsi que le traitement de sons vocaux. Les chercheurs ont ainsi pu déduire les voyelles et les sons auxquels correspondent ces formants. Les résultats obtenus s’approchent de sons comme «  bad  » ou «  bed  ». Ces derniers résultent surtout de la position couchée d’inhumation de la momie, dont le tractus vocal, pendant l’embaumement, a gardé une certaine inclinaison, qui a été reproduite lors de la modélisation. Et c’est ainsi que nous découvrons pour la première fois le son produit par une momie [10, 1].

Questionnement éthique

L’utilisation d’une momie pose des questions éthiques. Du point de vue juridique, la momie est une personne décédée, donc l’utilisation de son canal vocal peut être considérée comme une atteinte à l’individu. L’idée de faire parler une momie datant de plusieurs milliers d’années provoque des réactions controversées chez les spectateurs de cette découverte. Il faut savoir accompagner ce type de recherche d’une réflexion éthique. La parole permet à l’individu d’exprimer ses pensées. Le risque est donc de faire parler une momie contre sa volonté et de s’approprier sa voix. Cependant, Nesyanum a fait graver, sur son cercueil, sa volonté de parler après la mort. Cette expérience permet donc, d’une certaine manière, de respecter sa volonté [11].

D’un point de vue archéologique et culturel, cette avancée technique donne un nouveau sens à la découverte d’une momie en apportant une nouvelle dimension culturelle par la connaissance de sa voix. On peut noter également la volonté des chercheurs de montrer l’humanité de Nesyanum et sa proximité tant biologique qu’historique. De plus, mettre en avant la voix oubliée d’une momie de 3 000 ans permet de familiariser le grand public à une nouvelle dimension de l’histoire.

Perspectives

Grâce à des logiciels informatiques appropriés, la technique d’impression en 3D a donc rendu possible une reconstitution de la voix d’une personne ayant vécu il y a environ 3 000 ans [1]. Cette technique innovante peut être appliquée à d’autres domaines de la recherche biomédicale comme, par exemple, la fabrication de prothèses et d’implants spécifiques, voire de tissus et d’organes humains [9], qui pourrait notamment profiter aux personnes ayant perdu leur voix.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

«  Rites consistant à protéger et maintenir associé l’esprit (BA), l’âme (KA), et le corps (h3.t), afin d’accéder à la vie après la mort.  » A. Martin (2013). Le corps en Égypte ancienne. Enquête lexicale et anthropologique. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01089023/file/2013_martin_diff.pdf

2

La tomodensitométrie est une technique d’imagerie médicale qui consiste à mesurer l’absorption des rayons X par les tissus puis, par traitement informatique, à numériser et enfin reconstruire des images 2D ou 3D des structures anatomiques.

3

Formant : fréquence de résonance du conduit vocal dont la valeur dépend de la configuration des cavités supraglottiques (buccale et pharyngale) propre à chaque articulation. Les différentes voyelles se définissent acoustiquement par leurs formants.

Références

  1. Howard D M, Schofield J, Fletcher J, et al. Synthesis of a vocal sound from the 3,000 year old mummy, Nesyamun ‘True of Voice’. Sci Rep 2020 : 10 : 1–6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Avanzini F, Cosi P, Füstös R, Sandi A. When fantasy meets science: an attempt to recreate the voice of Ötzi the “Iceman”. AISV, 2016 : 431 p. [Google Scholar]
  3. Lichtenberg R. Les momies d’Égypte. Études sur la mort 2006 ; 129 : 23–31 [CrossRef] [Google Scholar]
  4. Gombert-Meurice F, Payraudeau F. Servir les dieux d’Égypte. Divines adoratrices, chanteuses et prêtres d’Amon à Thèbes. Somogy 2018. [Google Scholar]
  5. Cox S L. A critical look at mummy CT scanning. anat Rec 2015 : 298 : 1099–110. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Jankowski A, Ferretti G. Tomodensitométrie volumique : principe, paramètres. Rev Mal Respir 2010 : 27 : 964–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Ça m’intéresse, Société. Comprendre le mécanisme de la parole. 2022. [Google Scholar]
  8. Pourchet L. Développement d’une bio-encre pour la bioimpression 3D de tissus vivants : étude de la formulation et caractérisation du développement tissulaire. Biotechnologie. Université de Lyon 2018 : 237 p. [Google Scholar]
  9. Bozkurt Y, Karayel E. 3D printing technology : methods, biomedical applications, future opportunities and trends. J Mater Res Technol 2021 : 14 : 1430–50. [CrossRef] [Google Scholar]
  10. Howard D M. The vocal tract organ: A new musical instrument using 3-D printed vocal tracts. J Voice 2017 : 32 : 660–7. [Google Scholar]
  11. Cadot L. Les restes humains : une gageure pour les musées ? La Lettre de l’OCIM 2007 : 109 : 4–15. [CrossRef] [Google Scholar]

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

L’appareil phonatoire humain. A. Schéma en vue latérale. La partie reconstituée en 3D est indiquée par le cadre bleu (crédit : Lucie Poveda). B. Représentation en 3D de l’appareil phonatoire en vue latérale et en vue antérieure (crédit : essential anatomy 3).

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