Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 6-7, Juin-Juillet 2024
|
|
---|---|---|
Page(s) | 505 - 507 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024065 | |
Published online | 08 July 2024 |
Hétérotopies de la matière grise: des signatures pathologiques spécifiques du sous-type anatomique
Subtype-specific pathological signatures in grey matter heterotopia
Institut de neurobiologie de la Méditerranée, Inserm UMR1249, Aix-Marseille Université, Turing Centre for Living Systems, Marseille, France
Les anomalies de construction du cortex cérébral, que l’on qualifie de malformations du développement cortical, sont un vaste groupe de troubles neurodéveloppementaux associés à une incapacité intellectuelle et à des épilepsies [1]. Grâce aux progrès de la neuro-imagerie et de la génétique moléculaire humaine, environ 200 sous-types de ces malformations sont actuellement reconnus. Ils sont classés selon plusieurs critères : le mécanisme développemental dont l’altération a probablement conduit à leur survenue, le gène en cause, et les caractéristiques anatomiques de la malformation [2, 3]. Ainsi, les malformations du développement cortical sont classées en trois groupes principaux : les malformations secondaires à une prolifération cellulaire ou une apoptose anormale, les troubles de la migration neuronale, et les malformations post-migratoires affectant l’organisation et la connectivité corticales.
Les hétérotopies de la matière grise appartiennent au groupe des troubles de la migration neuronale. Au plan histologique, elles se caractérisent par des masses de neurones accumulés à un emplacement anormal et n’ayant pu migrer vers leur position normale dans le cortex. Il existe deux sous-types principaux et bien caractérisés de ces hétérotopies : l’hétérotopie nodulaire périventriculaire (HNPV), la plus fréquente, et l’hétérotopie sous-corticale en bande (HSB), plus rare. L’hétérotopie nodulaire périventriculaire décrit des masses nodulaires de neurones situées sous la matière blanche le long des parois ventriculaires et faisant saillie dans les ventricules cérébraux. L’hétérotopie sous-corticale en bande décrit une bande de neurones agrégés, séparée du cortex sus-jacent et des ventricules cérébraux par de la matière blanche [2, 3]. Un troisième groupe de formes extrêmement rares d’hétérotopies sous-corticales, distinctes des HNPV et des HSB, a été décrit [4].
Les hétérotopies de la matière grise sont très fréquemment associées à des fonctions corticales altérées et à des épilepsies, dont les bases physiopathologiques demeurent cependant mal comprises. Ce manque de connaissances, notamment des propriétés morpho-fonctionnelles et de l’organisation des circuits neuronaux associés aux hétérotopies, découle d’un accès limité au tissu humain, ce qui rend nécessaire le recours aux modèles précliniques. Si de nombreux modèles d’HNPV et d’HSB existent, aucune analyse comparative des propriétés structurelles et fonctionnelles des neurones de ces sous-types d’hétérotopies n’a été effectuée. Or, des connaissances plus précises permettraient d’affiner les systèmes de classification utilisés pour leur diagnostic clinique, et d’élaborer de nouvelles stratégies de traitement ou des thérapies personnalisées.
Une analyse comparative multimodale des propriétés des neurones qui composent les hétérotopies
Nous avons étudié deux modèles génétiques murins reproduisant fidèlement les deux sous-types principaux d’hétérotopie de la matière grise. Des reconstructions tridimensionnelles de cerveaux entiers nous ont permis de confirmer que, comme chez l’homme, le modèle murin d’HNPV présente une hétérotopie qui borde le ventricule cérébral et fait saillie dans sa lumière ; le modèle d’HSB, quant à lui, présente une hétérotopie incluse dans la matière blanche, qui la sépare du ventricule et du cortex [5].
Grâce à des immunomarquages des différentes populations de neurones corticaux et à une analyse d’image par apprentissage automatique, nous avons d’abord caractérisé la composition neuronale des deux types d’hétérotopie. Nous avons ensuite affiné cette caractérisation par une analyse morphologique des neurones de l’hétérotopie après reconstruction tridimensionnelle de leurs axones et de leurs dendrites. Une analyse multivariée1 incluant plusieurs dizaines de paramètres morphologiques tirés de ces reconstructions a permis d’identifier trois sous-types morphologiques, ou « morphotypes », par une méthode de regroupement hiérarchique : deux sont retrouvés principalement chez le modèle d’HSB, et le troisième, principalement chez le modèle d’HNPV. Ainsi, des morphologies neuronales aberrantes communes, mais également distinctes, sont retrouvées au sein des hétérotopies des deux modèles murins [5].
Nous avons prolongé l’analyse en caractérisant les propriétés électrophysiologiques des neurones de l’hétérotopie, grâce à des enregistrements par la méthode du patch-clamp 2 en configuration « cellule entière » [10] (→).
(→) Voir l’article de J. Teulon, m/s n° 5, mai 2004, page 550
Afin de déterminer si des « électrotypes » pouvaient être identifiés sur la base des paramètres électrophysiologiques mesurés, et si ces électrotypes pouvaient être associés à des morphotypes distincts, nous avons eu recours à des analyses multivariées. Par regroupement hiérarchique, nous avons identifié deux électrotypes : l’un est principalement retrouvé chez le modèle murin d’HSB, et l’autre, chez le modèle murin d’HNPV. Les propriétés de ces électrotypes sont distinctes entre elles, mais elles sont également différentes des propriétés de neurones corticaux « normaux », ce qui confirme le profil anormal de ces neurones. Dans leur ensemble, ces résultats indiquent l’existence de signatures morpho-électriques spécifiques de chaque sous-type d’hétérotopie, étroitement associées à leurs étiologies respectives [5] (Figure 1).
![]() |
Figure 1. Signatures morpho-fonctionnelles des hétérotopies de la matière grise. Différents sous-types d’hétérotopie de la matière grise chez l’homme, et leurs modèles précliniques murins sont schématisés : des hétérotopies sous-corticales en bande sont représentées en rouge et en mauve, et une hétérotopie nodulaire périventriculaire est représentée en jaune. L’analyse en composantes principales (principal components, PC) des propriétés électrophysiologiques et morphologiques des neurones composant les hétérotopies chez les modèles murins permet de révéler l’existence de signatures pathologiques distinctes selon le sous-type d’hétérotopie. L’analyse des données en composantes principales consiste à transformer des variables liées entre elles en nouvelles variables décorrélées les unes des autres (graphe modifié d’après [5], et données non publiées). |
Si les hétérotopies de la matière grise sont associées à un risque accru d’épilepsie, les crises épileptiques sont variables selon les patients et selon les sous-types d’hétérotopie [6]. En outre, les contributions respectives de l’hétérotopie et du cortex environnant lors des crises sont mal comprises. Grâce à l’imagerie calcique à large champ menée ex vivo à l’interface entre hétérotopie et cortex, nous avons étudié la dynamique d’évènements épileptiformes induits pharmacologiquement chez les modèles murins d’HSB et d’HNPV. Nous avons constaté que ces évènements épileptiformes engagent l’activité synchronisée de populations de neurones localisés à la fois dans l’hétérotopie et dans le cortex. Cependant, la dynamique de recrutement de ces neurones varie selon le sous-type d’hétérotopie. Ainsi, chez le modèle d’HSB, les neurones de l’hétérotopie sont préférentiellement recrutés lors de l’initiation des évènements épileptiformes, alors qu’il n’existe pas de recrutement préférentiel des neurones de l’hétérotopie ou du cortex chez le modèle d’HNPV [6]. Ces résultats suggèrent l’existence d’une implication différentielle de l’hétérotopie dans les circuits neuronaux responsables des crises épileptiques, selon le sous-type d’hétérotopie considéré.
Pour approfondir la description de ces circuits neuronaux pro-épileptogènes, nous avons utilisé une méthode de cartographie fonctionnelle des entrées excitatrices. Cette méthode combine des enregistrements électrophysiologiques par la méthode du patch-clamp et la libération photo-induite de glutamate, permettant de cartographier les entrées synaptiques reçues par un neurone identifié. Chez les deux modèles murins d’hétérotopie, la majorité des entrées reçues par les neurones de l’hétérotopie provient de l’hétérotopie elle-même, et les entrées en provenance du cortex sont minoritaires. La reconstruction des neurones enregistrés l’a confirmé, en révélant une arborisation dendritique et axonale principalement contenue dans les limites de l’hétérotopie, bien que certains axones atteignent le cortex sus-jacent [6]. Ces résultats indiquent une prédominance de connexions récurrentes entre les neurones de l’hétérotopie, accompagnées de quelques connexions réciproques avec le cortex sus-jacent.
Grâce à une approche comparative multimodale, notre travail de recherche a mis en lumière l’existence d’altérations développementales complexes qui retentissent sur les propriétés morphologiques et électrophysiologiques des neurones des hétérotopies. Associées à une connectivité altérée, ces propriétés morpho-électriques anormales contribuent aux dynamiques distinctes et aux origines spatiales différentes des activités épileptiformes associées à ces hétérotopies. Certaines de ces propriétés sont altérées dans les deux sous-types d’hétérotopie étudiés, alors que d’autres sont spécifiques d’un sous-type, permettant ainsi de définir des signatures pathologiques spécifiques.
Vers une classification des malformations corticales qui inclurait leurs signatures pathologiques ?
La classification des malformations corticales repose sur le mécanisme développemental altéré ayant probablement entraîné leur survenue, le gène en cause, et les caractéristiques anatomiques de la malformation. Cette classification, proposée par Barkovich en 1996 [7], fait l’objet de mises à jour régulières, qui intègrent les nouveaux gènes responsables identifiés, mais également de nouvelles connaissances mécanistiques. L’intégration de signatures morpho-fonctionnelles du type de celles que nous avons mises en évidence pourrait permettre d’affiner la classification. Il s’agit certes d’une tâche herculéenne, au vu de la diversité des sous-types de malformation décrites (plus de 200) et du nombre de gènes et variants causals identifiés (plus de 120 gènes et locus rien que pour les HSB et HNPV [4]). Elle semble pourtant nécessaire, comme l’illustrent les résultats d’une étude récente portant sur cinq gènes causant des malformations corticales focales, toutes liées à la suractivation pathologique d’une même voie de signalisation cellulaire impliquant la protéine mTORC1 (mammalian target of rapamycin complex 1). L’étude montre que cette suractivation conduit à des altérations semblables de la morphologie neuronale et de l’excitabilité membranaire, mais elle affecte différemment la transmission synaptique excitatrice selon le gène considéré [8]. À l’horizon d’une médecine personnalisée, une systématisation de ce type de recherche préclinique est attendue. Grâce à des plateformes de profilage multimodal combinant l’électrophysiologie « tout-optique » fondée sur des « senseurs de voltage » et l’optogénétique, et l’édition du génome dans des lignées isogéniques de cellules souches pluripotentes induites (induced pluripotent stem cells, iPSC) différenciées en neurones corticaux, comme cela vient d’être décrit dans un article concernant la sclérose tubéreuse de Bourneville [9], cet objectif ambitieux semble aujourd’hui à portée de pipette !
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Remerciements
Ces travaux de recherche ont bénéficié du soutien financier de l’action E-Rare-3 d’ERA-NET pour la recherche sur les maladies rares (HETEROMICS, ERARE18-049, ANR-18-RAR3-0002-02), de l’ERA-NET NEURON pour la recherche sur les troubles mentaux (nEUROtalk, NEURON-061, ANR-18-NEUR-0003-01) et de l’Agence nationale de la recherche via le programme Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs (SILENCEED, ANR-16-CE17-0013-01). Ces travaux ont également été soutenus par le gouvernement français via le programme France 2030, l’Initiative d’excellence de la Fondation A*MIDEX (AMX-19-IET-004), le Turing Centre for Living Systems (CENTURI, ANR-16-CONV-0001) et Marseille NeuroSchool (nEURo*AMU, ANR-17-EURE-0029).
En statistique, les analyses multivariées ont pour caractéristique de s’intéresser à des lois de probabilité à plusieurs variables. On peut identifier deux grandes familles de méthodes d’analyse multivariée, selon l’objectif recherché : les méthodes descriptives, qui visent à structurer et résumer l’information, et les méthodes explicatives, qui visent à expliquer une ou plusieurs variables dites « dépendantes » (variables à expliquer) par un ensemble de variables dites « indépendantes » (variables explicatives) (ndlr, d’après Wikipédia).
Références
- Guerrini R, Dobyns WB. Malformations of cortical development: clinical features and genetic causes. Lancet Neurol 2014 ; 13 : 710–726. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Severino M, Geraldo AF, Utz N, et al. Definitions and classification of malformations of cortical development: practical guidelines. Brain 2020; 143 : 2874–94. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Oegema R, Barakat TS, Wilke M, et al. International consensus recommendations on the diagnostic work-up for malformations of cortical development. Nat Rev Neurol 2020; 16 : 618–35. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Vriend I, Oegema R. Genetic causes underlying grey matter heterotopia. Eur J Paediatr Neurol 2021; 35 : 82–92. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Vermoyal J-C, Hardy D, Goirand-Lopez L, et al. Grey matter heterotopia subtypes show specific morpho-electric signatures and network dynamics. Brain 2024 ; 147 : 996–1010. [Google Scholar]
- Pizzo F, Roehri N, Catenoix H, et al. Epileptogenic networks in nodular heterotopia: A stereoelectroencephalography study. Epilepsia 2017 ; 58 : 2112–23. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Barkovich A, Kuzniecky R, Dobyns W, et al. A classification scheme for malformations of cortical development. Neuropediatrics 1996 ; 27 : 59–63. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Nguyen LH, Xu Y, Nair M, et al. The mTOR pathway genes mTOR, Rheb, Depdc5, Pten, and Tsc1 have convergent and divergent impacts on cortical neuron development and function. eLife 2024; 12 : RP91010. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Williams LA, Ryan SJ, Joshi V, et al. Discovery of novel compounds and target mechanisms using a high throughput, multiparametric phenotypic screen in a human neuronal model of tuberous sclerosis. bioRxiv 2024; 02.22.581652. [Google Scholar]
- Teulon J. Le patch-clamp en bref. Med Sci (Paris) 2004 ; 20 : 550. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
© 2024 médecine/sciences – Inserm
Article publié sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions l'utilisation, la diffusion, et la reproduction sur quelque support que ce soit, sous réserve de citation correcte de la publication originale.
Liste des figures
![]() |
Figure 1. Signatures morpho-fonctionnelles des hétérotopies de la matière grise. Différents sous-types d’hétérotopie de la matière grise chez l’homme, et leurs modèles précliniques murins sont schématisés : des hétérotopies sous-corticales en bande sont représentées en rouge et en mauve, et une hétérotopie nodulaire périventriculaire est représentée en jaune. L’analyse en composantes principales (principal components, PC) des propriétés électrophysiologiques et morphologiques des neurones composant les hétérotopies chez les modèles murins permet de révéler l’existence de signatures pathologiques distinctes selon le sous-type d’hétérotopie. L’analyse des données en composantes principales consiste à transformer des variables liées entre elles en nouvelles variables décorrélées les unes des autres (graphe modifié d’après [5], et données non publiées). |
Dans le texte |
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.