Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 5, Mai 2024
|
|
---|---|---|
Page(s) | 397 - 399 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024041 | |
Published online | 31 May 2024 |
Une approche biomimétique inspirée des virus pour la recherche de nouveaux médicaments
A biomimetic approach inspired by viruses for the discovery of new drugs
ENYO Pharma, Bioserra 1, Bâtiment B, Lyon, France
Les virus nous indiquent quelles sont les protéines humaines manipulables
La plupart des processus cellulaires sont réalisés par des protéines qui sont codées par nos gènes. Pour remplir leur fonction, ces protéines interagissent en formant de vastes réseaux. Ce sont ces réseaux d’interactions qui vont permettre, par exemple, d’assurer le métabolisme, le mouvement cellulaire, ou encore la transmission des gènes aux cellules filles lors de la mitose. Les virus sont des agents pathogènes intracellulaires qui évoluent depuis des millions d’années avec leur hôte car ils ont besoin de la machinerie de la cellule pour se répliquer. Ils ont ainsi développé des stratégies diverses pour détourner les fonctions cellulaires à leur profit, tout en préservant l’intégrité de la cellule le temps d’accomplir leur cycle infectieux [1, 2]. Les protéines, codées par le génome viral, vont ainsi interagir avec celles de la cellule infectée et moduler les fonctions cellulaires dans lesquelles ces dernières sont impliquées. D’où l’idée que les virus peuvent nous indiquer les protéines humaines manipulables si l’on veut intervenir sur une fonction cellulaire avec un médicament (Figure 1).
![]() |
Figure 1. Principe du processus de découverte de médicaments biomimétiques. À gauche: virus et Homme vus comme des réseaux d’interactions de protéines. Au milieu: lors de l’infection par un virus, une protéine virale module une fonction cellulaire en interagissant avec une protéine humaine. À droite: les interactions peuvent être cartographiées à l’échelle de petites interfaces de 5 à 20 acides aminés. Ces peptides viraux peuvent être utilisés comme de nouvelles entités chimiques, ou traduits en petites molécules non peptidiques équivalentes. Les virus infectant les cellules humaines nous permettent, dans leur ensemble, d’identifier des protéines humaines manipulables, et ces peptides viraux fournissent des points de départ pour moduler les fonctions cellulaires dans lesquelles ces protéines sont impliquées. |
Les virus nous indiquent comment manipuler les fonctions cellulaires
Ces interactions entre protéines virales et protéines cellulaires peuvent impliquer des régions protéiques de taille variable. Dans certains cas, la portion de protéine virale nécessaire et suffisante pour interagir avec une protéine humaine et perturber sa fonction cellulaire définit un « peptide viral » que l’on peut synthétiser indépendamment de la protéine d’origine et du virus, et que l’on peut alors utiliser pour cibler la protéine humaine et moduler les fonctions qui lui sont associées. On peut même parfois imiter ce peptide par une petite molécule chimique qui aura la même activité (Figure 1).
Les virus nous inspirent un processus de recherche de nouveaux médicaments
Nous avons décrit une plateforme de recherche de nouveaux candidats médicaments (drug discovery) biomimétiques de la façon dont les virus détournent les fonctions cellulaires [3]. Cette plateforme s’inspire de millions d’années de coévolution des virus avec leurs hôtes ainsi que de dizaines d’années d’études des interactions virus-hôtes par la communauté scientifique internationale.
Nous avons tout d’abord établi la plus grande carte d’interactions entre toutes les protéines de tous les virus qui infectent l’homme et toutes les protéines humaines. Cette carte procède d’une fouille méticuleuse de la littérature scientifique et d’une annotation précise des interactions qui y sont décrites. Un « paysage de l’infection virale », formé à ce jour de 100 000 interactions, est ainsi dévoilé dans la base de données Vinland (viral infection landscape, https://vinland.network).
Ainsi, l’identification systématique de couples peptide viral-protéine humaine dans Vinland permet d’établir une banque de peptides viraux susceptibles de moduler une grande variété de fonctions cellulaires. Cette banque peut être criblée sur la base de n’importe quel modèle de processus biologique, ou de maladie, infectieuse ou non (Figure 2). Nous avons réalisé plusieurs criblages et prouvé que des peptides viraux de toutes origines sont capables, en ciblant des fonctions cellulaires, d’empêcher ou au contraire d’activer la réplication de différents virus ainsi que d’une bactérie substitut d’un agent bioterroriste [3].
![]() |
Figure 2. Étapes séquentielles du processus de découverte de médicaments biomimétiques. La banque de peptides viraux est criblée dans un test cellulaire. Les pharmacophores (molécule ou région d’une molécule dont l’activité biologique possède un effet thérapeutique) d’un peptide sont traduits par un chimioinformaticien en une banque de petites molécules. À la suite du crible, les molécules actives servent de matrice structurale pour une optimisation selon une approche fondée sur la relation structure-activité. L’identification de la cible de la molécule la plus active est alors un préalable au choix de l’indication thérapeutique. |
Nous avons poursuivi la démarche de preuve de concept en nous focalisant sur un peptide issu d’une protéine d’un herpèsvirus [4]. Ce peptide est très actif pour empêcher la réplication du virus de la grippe, et n’est pas toxique pour la cellule. Nous avons montré qu’il interagit avec une famille de trois protéines humaines appelées protéines NEET1 [3]. Si les peptides sont de très bons outils pour explorer des fonctions cellulaires dans les laboratoires de recherche, ils présentent de nombreux obstacles à un développement préclinique et clinique. Un moyen de contourner ces obstacles est de mimer les déterminants structuraux du peptide qui interagissent avec la protéine humaine par une petite molécule chimique dite peptidomimétique (Figure 2). Les premières molécules peptidomimétiques ainsi identifiées présentaient le même niveau d’activité que le peptide contre la réplication du virus de la grippe [3]. La molécule chimique a ensuite été optimisée (Figure 2) de telle sorte que la dernière molécule présentée (dEF3122) est aussi active dans la cellule infectée que la molécule de référence utilisée pour le traitement de la grippe (oseltamivir) [3]. Tout au long de ce processus d’optimisation, l’interaction des différentes molécules synthétiques avec les protéines NEET était conservée [4].
Les protéines NEET étant impliquées dans diverses maladies, dont la stéatose hépatique non alcoolique [5], la molécule dEF3122 a été utilisée pour traiter des souris présentant cette maladie (Figure 2). Après huit semaines de traitement, nous avons constaté une amélioration de paramètres hépatiques et rénaux en rapport avec la maladie [3].
Cette démarche innovante profite d’abord à la recherche académique, qui bénéficie désormais de la base de données d’interaction virus-hôte la plus complète à ce jour, et aussi d’outils originaux pour explorer un large éventail de fonctions cellulaires dans tous les domaines de la biologie. Elle profite également à l’industrie pharmaceutique, car elle fournit de nombreux points de départ pour une recherche de nouvelles molécules thérapeutiques, y compris contre des protéines humaines considérées jusqu’alors impossibles à cibler.
Liens d’intérêt
Laurène Meyniel-Schicklin et Benoit de Chassey sont cofondateurs d’ENYO Pharma.
Références
- Davey NE, Travé G, Gibson TJ. How viruses hijack cell regulation. Trends Biochem Sci 2011 ; 36 : 159–169. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Meyniel-Schicklin L, de Chassey B, André P, et al. Viruses and interactomes in translation. Mol Cell Proteomics 2012 ; 11 : M111.014738. [Google Scholar]
- Meyniel-Schicklin L, Amaudrut J, Mallinjoud P, et al. Viruses traverse the human proteome through peptide interfaces that can be biomimetically leveraged for drug discovery. Proc Natl Acad Sci USA 2024 ; 121 : e2308776121. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Lee JS, Li Q, Lee JY, et al. FLIP-mediated autophagy regulation in cell death control. Nat Cell Biol 2009 ; 11 : 1355–62. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Shen ZQ, Chen YF, Chen JR, et al. CISD2 haploinsufficiency disrupts calcium homeostasis, causes nonalcoholic fatty liver disease, and promotes hepatocellular carcinoma. Cell Rep 2017 ; 21 : 2198–2211. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
© 2024 médecine/sciences – Inserm
Liste des figures
![]() |
Figure 1. Principe du processus de découverte de médicaments biomimétiques. À gauche: virus et Homme vus comme des réseaux d’interactions de protéines. Au milieu: lors de l’infection par un virus, une protéine virale module une fonction cellulaire en interagissant avec une protéine humaine. À droite: les interactions peuvent être cartographiées à l’échelle de petites interfaces de 5 à 20 acides aminés. Ces peptides viraux peuvent être utilisés comme de nouvelles entités chimiques, ou traduits en petites molécules non peptidiques équivalentes. Les virus infectant les cellules humaines nous permettent, dans leur ensemble, d’identifier des protéines humaines manipulables, et ces peptides viraux fournissent des points de départ pour moduler les fonctions cellulaires dans lesquelles ces protéines sont impliquées. |
Dans le texte |
![]() |
Figure 2. Étapes séquentielles du processus de découverte de médicaments biomimétiques. La banque de peptides viraux est criblée dans un test cellulaire. Les pharmacophores (molécule ou région d’une molécule dont l’activité biologique possède un effet thérapeutique) d’un peptide sont traduits par un chimioinformaticien en une banque de petites molécules. À la suite du crible, les molécules actives servent de matrice structurale pour une optimisation selon une approche fondée sur la relation structure-activité. L’identification de la cible de la molécule la plus active est alors un préalable au choix de l’indication thérapeutique. |
Dans le texte |
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.