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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 2, Février 2024
Réfléchir le vivant
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Page(s) | 197 - 198 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024001 | |
Published online | 27 February 2024 |
Les mitochondries, organites ou bactéries ?
Mitochondria, organelles or bacteria?
Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (UMR 7 205). Membre de l’Institut Universitaire de France, Paris, France
Vignette (© Marc-André Selosse).
En 1890, l’histologiste allemand Richard Altmann (1852-1900) découvre sous son microscope les mitochondries, qu’il nomme bioplastes et dont il note qu’ils sont des « résidents permanents » des cellules. Dans une fin de xixe siècle où éclatent les découvertes microbiennes, les mitochondries seront considérées par certains comme des microorganismes, car elles ne se néoforment jamais comme d’autres organites cellulaires le font : elles se divisent toujours à partir de mitochondries préexistantes, à la façon de bactéries. Paul Portier (1866-1962), le codécouvreur du choc anaphylactique, écrit en 1918 un ouvrage, « Les symbiontes »1, qui soutient que « ces organites ne [sont] autre chose que des bactéries symbiotiques2 ». Pour des raisons semblables, les plastes3 font l’objet de la même hypothèse : dès 1887, le botaniste allemand Andreas Schimper (1856-1901) écrit que « peut-être une plante verte n’est que l’union entre un organisme incolore et un microbe possédant des pigments chlorophylliens ». Le concept de symbiose ne date pourtant que de 1877 : les choses sont allées vite…
L’idée que mitochondries et plastes sont des bactéries incorporées symbiotiquement aux cellules entre alors dans de mauvais jours… D’une part, il est impossible de les cultiver (il faut en particulier veiller à la pression osmotique, dont elles ne tolèrent pas les variations car celle-ci est régulée par la cellule-hôte), et les rares cultures de mitochondries (comme celles que pense avoir réalisées Portier) sont en fait des contaminants. On ne peut donc vérifier le postulat de Koch4 : il aurait été difficile, de toute façon, de trouver des cellules privées de mitochondries dans lesquelles les inoculer pour reproduire le symptôme mitochondrial ! Cela conduira certains pasteuriens à faire pression sur les éditions Masson pour ne pas republier le livre de Portier. Censuré, l’ouvrage fut remplacé l’année suivante par un (piètre) essai sur « Le mythe des symbiontes », écrit par l’un des frères Lumières5, Auguste (1862-1954), qui se piquait de biologie et pourfendait l’hérésie. D’autre part, les travaux de compréhension du métabolisme, entre les années 1920 et 1940, montrent progressivement l’intrication étroite de ces organites dans le métabolisme cellulaire, avec l’élucidation du cycle de Krebs dans les mitochondries, et du cycle de Calvin6 dans les plastes. Cette unité fonctionnelle, qu’on sait maintenant résulter d’une évolution secondaire, contribua alors à masquer la nature bactérienne et la pertinence d’une origine évolutive indépendante. On connaissait encore trop peu les eubactéries7 pour savoir que ces cycles existent aussi chez elles !
En 1920, le généticien Thomas Morgan (1866-1945) énonce que « à l’exception de rares cas d’hérédité plastidale8, le cytoplasme peut être ignoré génétiquement » – ce qui est statistiquement vrai en nombre de gènes portés par l’ADN mitochondrial, mais, on le sait à présent, factuellement inexact… Dans la troisième édition de son manuel sur la cellule, « The Cell », un grand classique édité entre 1896 et 1925, Edmund Wilson (1856-1939) écrit de l’origine bactérienne des mitochondries que « pour beaucoup [...], de telles spéculations peuvent paraître trop fantaisistes pour être abordées dans une société respectable » (édition de 1925). Mais il ajoute prudemment (la prudence dans les manuels, c’est devenu trop rare !) que « toutefois, il n’est pas impossible qu’elles soient un jour considérées plus sérieusement ». Ce sera le cas, entre 1960 et 1970, sous l’impulsion de la microbiologiste américaine Lynn Margulis (1938-2011) [1] qui s’appuie sur plusieurs faits établis entre-temps. Encore lui faudra-t-elle resoumettre plusieurs fois ses articles avant qu’ils ne soient acceptés : son style parfois informel et subjectif n’a sans doute pas aidé, mais les esprits alentours étaient rebelles à ses avancées, et peut-être aussi à suivre une pensée féminine…
Premièrement, la microscopie électronique révèle que mitochondries et plastes sont entourées de deux membranes, dont la plus externe fait songer à une membrane d’endocytose. Deuxièmement, une meilleure connaissance des métabolismes bactériens montre des similitudes, de biochimie structurale (comme les lipides très particuliers des membranes, par exemple les cardiolipides des mitochondries qui sont communs chez les bactéries) mais aussi de biochimie fonctionnelle (respiration, photosynthèse, synthèse des hèmes mitochondriaux, etc.). Enfin, la présence d’ADN, connue depuis le début des années 1960, explique les hérédités cytoplasmiques et permet de préciser les parentés bactériennes. Les affinités alpha-protéobactériennes9 pour les mitochondries et cyanobactériennes10 pour les plastes sont soutenues par les premiers arbres phylogénétiques, alors fondés sur des comparaisons de séquences protéiques, qui apparaissent dès les années 1970. Les allégations d’une origine bactérienne des flagelles, proposée par Lynn Margulis, et des peroxysomes, qu’elle suggère avec Christian de Duve (1917-2013), prix Nobel de physiologie ou médecine en 1974, n’ont guère été soutenues ensuite : ces auteurs rejoignent Thomas Morgan (voir plus haut), sur cette caractéristique que nos grandes figures passées ont d’autant plus de grandeur qu’on se souvient sélectivement de leurs meilleures idées !
Nous voilà aux jours d’hui et à cette question : doit-on considérer les mitochondries (et aussi les plastes) comme des organites ou des bactéries ? Disons-le d’emblée, cela dépend de ce qu’on définit comme un organite ou comme une bactérie, et le lecteur ne trouvera ici qu’une opinion. Elle se veut juste heuristique et cohérente aux usages les plus fréquents. Un organite est un compartiment de la cellule limité par, au moins, une membrane : en ce sens les mitochondries et les plastes sont… doublement des organites !
Mais sont-ce des bactéries ? On rétorque souvent qu’ils ont perdu leur autonomie, au point qu’une grande fraction des gènes codant leurs protéines sont situés dans le noyau de la cellule-hôte (99 % pour la mitochondrie, 95 % pour les plastes). Certes, mais ce n’est qu’une forme de dépendance : après tout, bien des bactéries n’existent pas hors d’une cellule hôte, comme les rickettsies ou les chlamydies. Les taxonomistes ont bien besoin de considérer ces organites comme des bactéries : les groupes qu’ils définissent doivent être monophylétiques, c’est-à-dire avoir un ancêtre commun et contenir tous les descendants de cet ancêtre. Retirer les mitochondries des alpha-protéobactéries et les plastes des cyanobactéries serait un crime de « lèse-monophylie », car cela ampute leurs groupes respectifs !
Vous me direz que ces points de vue sont discutables… Mais il y a plus, techniquement. C’est en comprenant les mitochondries et les plastes comme des bactéries qu’on a, par exemple, élucidé leurs modalités de division, avec notamment le gène clef de la division cellulaire bactérienne, FtsZ (encore présent, quoique maintenant codé dans le noyau de la cellule-hôte). Mais revenons à la définition des bactéries. Je vous propose une définition phylogénétique : appelons bactéries ce qui est dans l’arbre évolutif des Eubactéries. Depuis les années 1970, des reconstitutions phylogénétiques montrent ce placement à l’envi, pour les mitochondries comme pour les plastes !
Si vous me suivez encore un peu, un organite est un caractère structural qui peut être issu soit d’une évolution autonome de la cellule (comme le réticulum ou les vésicules), soit de l’incorporation d’une bactérie symbiotique. Être bactérie est une origine évolutive – certaines sont libres, d’autres sont intracellulaires. On peut donc être bactérie (origine) et organite (état). D’ailleurs, il faut accepter de considérer que l’origine évolutive et la façon dont on vit soient des choses indépendantes, car la seconde varie au cours de l’évolution : le contraire serait du fixisme, non ?
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Margulis L. Origin of Eukaryotic Cells. New Haven: Yale University Press, 1970. [Google Scholar]
- Pallen MJ. Time to recognise that mitochondria are bacteria ?. Trends Microbiol 2011 ; 19 : 58–64. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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