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Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 12, Décembre 2021
Vésicules extracellulaires
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Page(s) | 1183 - 1185 | |
Section | Le Magazine | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021177 | |
Published online | 20 December 2021 |
Relation entre durée du sommeil chez l’adulte et risque de démence
Association between sleep duration in adulthood and risk of dementia
1
Épidémiologie du vieillissement et des maladies neurodégénératives, Université de Paris, Inserm U1153, 10 avenue de Verdun, 75010 Paris, France
2
Department of epidemiology and public health, University college London, Londres, Royaume-Uni
3
Centre de neurologie cognitive, hôpital Lariboisière - Fernand-Widal, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Université de Paris, Paris, France
La démence, dont la maladie d’Alzheimer est la principale cause [1], touchait environ 1,2 million de personnes en France en 20141. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, ce nombre pourrait doubler d’ici à 2050, faisant de la démence un enjeu majeur de santé publique [2]. Il est estimé que 50 à 90 % des personnes atteintes de démence ont des troubles du sommeil. Ces troubles sont différents de ceux rencontrés au cours du vieillissement normal, et se caractérisent par un endormissement plus tardif, de longues périodes d’éveil durant la nuit et plusieurs phases de sommeil durant la journée, dénotant une nette désynchronisation de l’horloge interne avec le cycle jour/nuit [3]. La dégradation majeure du sommeil nocturne contribue d’ailleurs fortement à la décision de placement institutionnel des patients atteints de démence. Certaines études suggèrent également l’existence de changements dans la qualité et la quantité de sommeil dans les années qui précèdent le diagnostic de la démence. Il est à noter que des altérations cérébrales et des processus neurodégénératifs liés à la démence peuvent apparaître jusqu’à 20 ans avant sa manifestation clinique [4]. Ainsi, il est difficile de savoir si les troubles du sommeil en phase préclinique de la démence sont une manifestation de la maladie, ont des causes communes avec celles de la démence, ou bien s’ils jouent un rôle dans sa progression.
Une association bidirectionnelle entre sommeil et maladie d’Alzheimer a été proposée [5]. Des études expérimentales chez l’homme et la souris ont montré qu’une durée de sommeil réduite, ainsi qu’un sommeil fragmenté seraient associés à une augmentation de l’activité neuronale conduisant à une accumulation du peptide β-amyloïde et une altération du système glymphatique en charge du drainage des déchets cérébraux, dont le peptide β-amyloïde et la protéine tau impliqués dans le développement de la maladie d’Alzheimer. Une détérioration du rythme circadien est également observée en parallèle de la progression de la maladie d’Alzheimer en phase préclinique [6]. Il reste à savoir si des interventions visant à améliorer le sommeil nocturne pourraient retarder les manifestations cliniques de la démence.
L’hypothèse d’une association entre sommeil et démence suggère que le sommeil, de nombreuses années avant la survenue de la démence, et donc avant sa phase préclinique, pourrait également être impliqué dans le développement de la démence. Peu d’études ont examiné l’association entre la durée de sommeil en milieu de vie et la survenue de la démence au cours du vieillissement, et leurs résultats ne permettaient pas de conclure, en partie en raison du petit nombre de personnes enrôlées dans les catégories « durée de sommeil courte » et « durée de sommeil longue ». Nous avons donc étudié l’association entre la durée du sommeil à différents âges de la vie adulte et le risque de survenue de démence [7].
L’étude portait sur 7 959 participants de la cohorte britannique Whitehall II study, suivis depuis leur inclusion dans la cohorte en 1985 jusqu’en 20192. Ces personnes ont répondu à un questionnaire sur la durée habituelle du sommeil à six reprises au cours du suivi. Ces données ont permis d’extraire la durée de sommeil aux âges spécifiques de 50, 60, et 70 ans, que nous avons catégorisé en : ⩽ 6 heures, 7 heures, et ⩾ 8 heures par nuit. Par ailleurs, un lien avec les bases électroniques de santé au Royaume-Uni a permis d’obtenir le statut de démence et la date de son diagnostic, le cas échéant, pour chaque participant jusqu’en mars 2019. À partir de régressions de Cox3 avec l’âge en échelle de temps, nous avons ainsi pu étudier l’association entre la durée de sommeil à 50, 60, 70 ans, ainsi que l’évolution de la durée de sommeil entre ces âges, et la survenue de la démence. Les modèles de régression prenaient en compte également le sexe, le niveau d’étude, le statut matrimonial, les facteurs de risque cardio-métaboliques, la prévalence de maladies cardiovasculaires, la prise de médicaments agissant sur le système nerveux central, et les symptômes dépressifs au moment de la mesure de la durée de sommeil.
Parmi les 7 959 participants inclus dans l’étude, 521 ont développé une démence sur une période moyenne de suivi de 25 ans (écart-type = 7 ans). Le taux d’incidence pour 1 000 personnes-années était le plus bas pour les personnes qui rapportaient dormir 7 heures par nuit, que ce soit à l’âge de 50, de 60, ou de 70 ans. Les résultats ont montré un risque de démence augmenté de 22 % (intervalle de confiance : 1 à 48 %) et 37 % (intervalle de confiance : 10 à 72 %) chez les personnes qui dormaient 6 heures ou moins par nuit, respectivement, à 50 et 60 ans, par rapport aux personnes dormant 7 heures par nuit aux mêmes âges. Lorsque la trajectoire de durée de sommeil entre 50 et 70 ans était considérée, un risque de démence augmenté de 30 % (intervalle de confiance : 0 à 69 %) était observé chez les individus dormant 6 heures ou moins de façon persistante dans cette tranche d’âge par rapport à ceux dormant 7 heures par nuit sur la même période de la vie. Parmi les personnes dormant 8 heures ou plus de façon régulière, une augmentation du risque était également suggérée, mais l’association n’atteignait pas le seuil de signification statistique. Afin de tester la robustesse des résultats, plusieurs analyses supplémentaires ont été faites. L’association entre une durée de sommeil courte et le risque de démence se retrouvait également chez les personnes n’ayant pas d’antécédent de maladie mentale (dépression, troubles de l’humeur ou du comportement) ou bien lorsqu’une mesure objective de la durée de sommeil par accéléromètre était utilisée (analyse restreinte à un sous-groupe de 3 888 participants ayant porté un accéléromètre pendant 9 jours) (Tableau I).
Association entre durée de sommeil et risque de démence. Hazard ratio : rapport de risques instantanés (souvent assimilé au risque relatif) de démence par rapport au groupe de référence (ref), estimé à partir de modèles de Cox (modèle à risque proportionnel) ajusté sur les facteurs socio-démographiques (âge, sexe, ethnicité, éducation, statut matrimonial), sur les comportements liés au mode de vie (tabagisme, consommation d’alcool, activité physique, consommation de fruits et légumes), sur les facteurs de risque cardio-métaboliques (indice de masse corporelle, hypertension artérielle, diabète), sur les maladies cardiovasculaires, et sur la santé mentale (échelle de dépression et médicaments du système nerveux central).
On connaissait déjà l’impact à court-terme du manque de sommeil sur la mémoire et le raisonnement les lendemains de nuits courtes. Cette étude montre que le manque de sommeil de façon habituelle et persistante dans la période du milieu de la vie pourrait avoir un impact sur le risque de démence à un âge plus avancé. La promotion d’une « bonne nuit de sommeil » pourrait être bénéfique pour la prévention de la démence. Une bonne hygiène du sommeil passe par une bonne hygiène de vie en général, comme la pratique régulière d’une activité physique et un régime alimentaire sain, la mise en place d’un rythme régulier d’heure du coucher, et l’éviction d’exposition aux écrans et lumières fortes dans la demi-heure qui précède l’heure du coucher. Ces habitudes de vie favorisent un meilleur endormissement et une bonne qualité du sommeil.
Il est important de placer ces résultats dans le contexte plus général de la prévention de la démence. En effet, il s’agit d’une maladie multifactorielle, qui résulte probablement de l’accumulation de plusieurs facteurs de risque tout au long de la vie plutôt que d’un seul facteur pris isolément. Ces facteurs de risque restent encore en partie à identifier. Il a été suggéré que le maintien d’habitudes de vie saines sans tabac ni forte consommation d’alcool, d’une bonne santé cardiovasculaire sans facteurs de risque, tels qu’obésité, hypertension artérielle, ou diabète, et de contacts sociaux dès l’âge de 50 ans permettrait de réduire le risque de démence [8, 9] (→).
(→) Voir la Nouvelle de S. Sabia et A. Singh-Manoux, m/s n° 2, février 2020, page 101
La durée du sommeil vient donc s’ajouter à la liste des facteurs pouvant influencer le risque de démence. Reste à savoir si ces facteurs jouent un rôle indépendant les uns des autres ou s’ils agissent de façon synergique, et quels sont les mécanismes qui sous-tendent leur association avec la survenue de la démence, afin de pouvoir envisager des stratégies de prévention ciblées.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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- Mura T, Dartigues JF, Berr C. How many dementia cases in France and Europe? Alternative projections and scenarios 2010–2050. Eur J Neurol 2010 ; 17 : 252–259. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Duncan MJ. Interacting influences of aging and Alzheimer’s disease on circadian rhythms. Eur J Neurosci 2020; 51 : 310–25. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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- Sabia S, Fayosse A, Dumurgier J et al. Association of sleep duration in middle and old age with incidence of dementia. Nat Commun 2021; 12 : 2289. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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- Sabia S, Singh-Manoux A. Association entre la fréquence des contacts sociaux durant la vie adulte et le risque de démence au cours du vieillissement. Med Sci (Paris) 2020; 36 : 101–3. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des tableaux
Association entre durée de sommeil et risque de démence. Hazard ratio : rapport de risques instantanés (souvent assimilé au risque relatif) de démence par rapport au groupe de référence (ref), estimé à partir de modèles de Cox (modèle à risque proportionnel) ajusté sur les facteurs socio-démographiques (âge, sexe, ethnicité, éducation, statut matrimonial), sur les comportements liés au mode de vie (tabagisme, consommation d’alcool, activité physique, consommation de fruits et légumes), sur les facteurs de risque cardio-métaboliques (indice de masse corporelle, hypertension artérielle, diabète), sur les maladies cardiovasculaires, et sur la santé mentale (échelle de dépression et médicaments du système nerveux central).
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