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Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 6-7, Juin-Juillet 2024
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Page(s) | 508 - 510 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024066 | |
Publié en ligne | 8 juillet 2024 |
Le métabolisme au cœur de la cellule à l’origine de la valve mitrale
The metabolism at the heart of mitral valve progenitors
Inserm U1263, INRAE U1260, Centre cardiovasculaire et nutrition, Aix-Marseille Université, Marseille, France
Le cœur est un organe dont la forme s’est complexifiée au cours de l’évolution. Simple tube chez la drosophile, organe à deux chambres chez les poissons, il est devenu un organe à quatre chambres chez les mammifères. Il est donc devenu nécessaire, pour le bon fonctionnement de la pompe cardiaque, d’orienter le flux sanguin entre ces quatre chambres grâce à la présence de quatre valves : deux valves assurent le passage du sang chargé en gaz carbonique de l’atrium1 droit vers le ventricule droit (valve tricuspide), puis vers l’artère pulmonaire (valve pulmonaire), et deux autres valves assurent le passage du sang chargé en oxygène de l’atrium gauche vers le ventricule gauche (valve mitrale), puis vers l’aorte (valve aortique).
Dans l’embryogenèse, les valves se forment en parallèle de la séparation des chambres. Chez la souris, dès 9 jours de vie embryonnaire (E9), des cellules endocardiques se décollent du myocarde sous l’influence de facteurs myocardiques, pour former un coussin dans les régions efférentes du cœur (troncs pulmonaire et aortique ; futures valves pulmonaire et aortique) et dans les régions atrio-ventriculaires (futures valves tricuspide et mitrale). Les cellules subissent ensuite une transition endothélio-mésenchymateuse, et migrent tout en se divisant pour remplir le coussin. Le même processus se déroule dès trois semaines de vie embryonnaire dans l’espèce humaine. Ce coussin va ensuite subir des changements morphologiques pour former les feuillets valvulaires [1].
Une question majeure est restée sans réponse pendant des décennies. Alors que l’endocarde tapisse l’intérieur des quatre chambres, pourquoi seules certaines cellules endocardiques localisées dans le canal atrio-ventriculaire et dans une région efférente du ventricule sont capables de se décoller du myocarde et d’effectuer une transition épithélio-mésenchymateuse ? Nos travaux de recherche ont levé en partie le voile sur cette énigme [2]. Afin de suivre le développement de la valve mitrale chez la souris, un modèle animal qui reflète assez fidèlement le développement du cœur humain [3], nous avons disséqué le canal atrio-ventriculaire au stade embryonnaire E9,5, puis la valve mitrale au stade embryonnaire E16,5 ainsi que chez les souriceaux après la naissance. Les embryons étaient issus du croisement d’une souris portant le gène de la recombinase cre sous le contrôle du promoteur du gène endothélial et endocardique Tie2 et d’une souris qui portait le gène rapporteur codant la protéine tdTomato fluorescente et contenant un codon stop entouré de sites lox (cibles de la recombinase cre). Nous avons donc pu trier les cellules endocardiques, puis les cellules valvulaires par la technique FACS (fluorescence activated cell sorting). Les cellules triées ont ensuite été marquées avec un « code-barre » nucléotidique, et leurs ARN messagers (ARNm) séquencés pour obtenir le transcriptome de chacune d’entre elles.
L’analyse de ces transcriptomes a révélé que les cellules endocardiques qui acquièrent une compétence à effectuer la transition endothélio-mésenchymateuse précédant la différenciation de la valve mitrale ont un métabolisme de cellule cancéreuse. En effet, le transcriptome de ces cellules présente les marques d’un effet Warburg, bien connu en oncologie [4] (→), associé à une activation du métabolisme glutaminergique. Ce métabolisme est associé à l’expression de gènes impliqués dans la transition endothélio-mésenchymateuse, tels que Twist1. Nous avons par ailleurs observé que, comme pour la transition épithélio-mésenchymateuse des cellules de carcinome, la transition endothélio-mésenchymateuse comporte une succession d’étapes entre un phénotype endothélial et un phénotype mésenchymateux, en passant par des phénotypes hybrides de cellules qui continuent à exprimer des gènes associés au phénotype endothélial tout en exprimant déjà des gènes impliqués dans la transition, voire des gènes associés au phénotype mésenchymateux. De plus, ces cellules possèdent à leur surface un cil primaire, qui leur permet de détecter non seulement des pressions exercées par le flux sanguin [5], mais aussi des métabolites tels que la glutamine [6] ou des molécules de la matrice extracellulaire [7] (Figure 1). Le résultat de l’analyse transcriptomique confirme que la transition épithélio-mésenchymateuse de ces cellules endocardiques est consécutive à une reprogrammation métabolique, qui est bénéfique quand elle sous-tend la migration de cellules pendant le développement embryonnaire, mais pathologique quand elle permet la migration de cellules cancéreuses métastasiques. L’analyse de ces transcriptomes nous a également appris que la destinée des divers types cellulaires (cellule endothéliale, cellule musculaire lisse, fibroblaste ou chondrocyte) présents dans la valve mitrale mature était décidée dès le stade de la transition endothélio-mésenchymateuse. Cette spécificité se confirme dans les cellules de la valve mitrale à E16,5, un stade où le transcriptome individuel révèle de plus leur destinée particulière vers l’un des deux feuillets de la valve (pariétal ou septal)2.
(→) Voir la Synthèse de J. Razungles et al., m/s n° 11, novembre 2013, page 1026
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Figure 1. Contrôle métabolique de la transition endothélio-mésenchymateuse au sein des coussins cardiaques à l’origine de la valve mitrale. Les cellules endocardiques se séparent du myocarde et effectuent une transition endothélio-mésenchymateuse, tout en acquérant un phénotype caractéristique de chaque type de cellule valvulaire. |
Afin de préciser l’origine cellulaire précoce des cellules valvulaires, les résultats de l’analyse transcriptomique précédente ont été complétés par ceux d’une analyse clonale. En marquant une seule cellule dans l’endocarde du canal atrio-ventriculaire dans des embryons à E8,5, issus d’un croisement entre une souris CAG creERT2 (exprimant une recombinase cre inductible par le tamoxifène, sous contrôle du promoteur de la β actine de poulet, de la séquence facilitatrice du cytomégalovirus, et de l’accepteur d’épissage du gène de la β globine de lapin) et une souris cytbow (porteuse d’un transgène incluant des séquences codant trois protéines fluorescentes émettant chacune une lumière différente, bleue, jaune, ou rouge), nous avons pu visualiser les clones cellulaires de différentes couleurs générés par cette cellule dans la valve mitrale au stade embryonnaire E16,5. Une analyse probabiliste des clones nous a permis de confirmer que les cellules des feuillets pariétal et septal provenaient du même réservoir de cellules progénitrices, et de déterminer que 140 cellules progénitrices suffisaient à la formation de la valve finale.
La formation des feuillets de la valve mitrale résulte donc de deux phénomènes concomitants : la prolifération et la différenciation des cellules progénitrices « nées » dans l’endocarde du canal atrio-ventriculaire, et dont la destinée est spécifiquement prédéterminée. Les connaissances récemment acquises sur ce processus devraient permettre de mieux comprendre les maladies de la valve mitrale, dont la cause génétique reste mineure.
En guise de conclusion, rappelons à quel point l’analyse du transcriptome de cellules individuelles, rendue possible par la technique pionnière issue du laboratoire de biologie du développement dirigé par Azim Surami [8], a fait rapidement progresser la connaissance sur la formation des organes et sur l’origine des maladies qui les affectent. Cette technique peut être encore plus utile en combinaison avec le génotypage, car elle permet alors d’identifier des variants génétiques exprimés spécifiquement dans certains sous-types cellulaires des tissus analysés [9].
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
La valve mitrale différenciée comporte deux valvules ou feuillets : la grande valvule (ou valvule septale, ou feuillet antérieur), très mobile, et la petite valvule (ou valvule pariétale, ou feuillet postérieur), servant de butée à la grande valvule pour assurer la coaptation et permettre la continence lors de la contraction (systole) ventriculaire. Source : Wikipedia.
Références
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Figure 1. Contrôle métabolique de la transition endothélio-mésenchymateuse au sein des coussins cardiaques à l’origine de la valve mitrale. Les cellules endocardiques se séparent du myocarde et effectuent une transition endothélio-mésenchymateuse, tout en acquérant un phénotype caractéristique de chaque type de cellule valvulaire. |
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