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Med Sci (Paris)
Volume 33, Number 10, Octobre 2017
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Page(s) | 887 - 890 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20173310021 | |
Published online | 10 October 2017 |
Revalidation physique, entraînez le cerveau !
Physical rehabilitation, train the brain!
1
Laboratoire d’anatomie, de biomécanique et d’organogénèse (LABO), Université Libre de Bruxelles, CP 610, route de Lennik 808, 1070 Bruxelles, Belgique
2
Département d’électronique et d’informatique - ETRO, Vrije Universiteit Brussel, Pleinlaan 2, B-1050 Bruxelles, Belgique
3
iMec, Kapeldreef 75, 3001 Leuven, Belgique
Depuis des siècles, les questions relatives aux corps et à l’esprit - et surtout leurs interactions - taraudent scientifiques, médecins et philosophes. Les recherches et avancées effectuées en neurophysiologie au cours des dernières décennies ont permis de remettre en cause bon nombre de principes et théories, reposant principalement sur des observations empiriques, généralement admis en clinique. Ces observations, effectuées grâce à la résonance magnétique nucléaire fonctionnelle et les opérations du cerveau sur patient éveillé, permettent d’entrevoir de nouvelles techniques et opportunités dans le domaine de la revalidation. En effet, plus que jamais le corps et le cerveau doivent être considérés et traités comme une entité fonctionnelle, la distinction corps et âme chère à Platon n’a plus aujourd’hui lieu d’être. Le développement de nouvelles technologies, et en particulier la réalité virtuelle, se prête à merveille à cette approche globale et nous décrirons dans cet article comment un entraînement purement cognitif peut avoir des effets bénéfiques sur le corps.
Abstract
Since centuries, scientists, clinicians and philosophers have been debating about the interactions between the body and the mind. Researches and advances in neurophysiology over the last decades have challenged many principles and theories, mainly based on empirical observations, generally well accepted in clinical practice. These new findings, achieved through functional “magnetic resonance imaging”, awake brain surgery and allow new techniques and opportunities in physical rehabilitation. More than ever the body and the brain must be considered and treated as a functional entity, the distinction between body and soul developed by Platon should no longer be applied. The development of new technologies, in particular the virtual reality, lends itself perfectly to this global approach. The aim of this article is to present how a purely cognitive training can have beneficial effects on the body and the motor performances in clinics.
© 2017 médecine/sciences – Inserm
Depuis des millénaires, les questions relatives à l’âme, à l’esprit et au corps taraudent philosophes, scientifiques et médecins. Deux courants majeurs s’affrontent et opposent, d’une part le dualisme, séparation stricte entre le corps et l’âme, cher à Platon, et, d’autre part, le monisme, considérant le corps dans sa globalité comme un ensemble indivisible. Aujourd’hui encore, la majorité des questions sur la conscience restent sans réponse, qu’il s’agisse d’une définition précise admise par tous les spécialistes – psychiatres, neurophysiologistes, neurologues – ou quant à la manière dont elle est générée et entretenue.
En médecine et en revalidation1, force est de constater que l’approche dualiste prévaut toujours. En effet, peu de spécialités s’intéressent au corps dans sa globalité et, a fortiori, analysent les liens et les relations entre ces deux entités ; même les neurologues se spécialisent – la plupart du temps – soit dans le domaine cognitif soit dans le domaine moteur.
Les nouveaux courants philosophico-médicaux « transhumaniste2 » et « post-humaniste3 » prônent toujours cette dichotomie corps-esprit en considérant le cerveau comme un émetteur de commandes, qui peuvent être recréées artificiellement (stimulation neuronale, stimulation magnétique transcrânienne, etc.), et comme un disque dur pour les souvenirs et les émotions. Des chercheurs se concentrent même sur le « mind uploading », littéralement le téléchargement de l’esprit et des connaissances vers un ordinateur… Certains scientifiques estiment que la fiction deviendra réalité vers 2045 [1] !
Pourtant, comme nous allons le voir, les patients auraient tout à gagner d’une approche holistique en tirant le maximum de chaque entité.
Fondement de ce nouveau paradigme
Une meilleure compréhension des interactions corps-esprit a été rendue possible par les connaissances sur la physiologie du cerveau. Deux technologies ont permis des avancées majeures dans ce domaine : d’une part, l’imagerie fonctionnelle du cerveau et, d’autre part, les opérations du cerveau effectuées sur des patients éveillés. Les travaux et les découvertes effectués dans ces deux domaines ont remis en question les hypothèses émises par Broca il y a près de 150 ans et qui étaient, jusqu’il y a peu encore, bien admises dans le monde médical, à savoir que chaque fonction cognitive est située dans une zone bien précise du cerveau. Une lésion située dans cette zone entraînera donc automatiquement une perte de la fonction de cette région : la fameuse aphasie de Broca, par exemple, dénommée ainsi pour lui rendre hommage, qui correspond à une lésion de l’aire frontale de Broca sensée contrôler la production du langage. Les recherches en imagerie fonctionnelle (imagerie par résonance magnétique, magnétoencéphalographie, etc.) et, surtout, les opérations du cerveau sur des patients éveillés pendant lesquelles le neurochirurgien teste spécifiquement diverses régions du cerveau en s’assurant que le patient est toujours capable d’effectuer certaines tâches (par exemple parler, jouer de la musique, calculer, etc.), ont montré que les localisations n’étaient pas aussi précises que ce qui était communément décrit. Ces travaux indiquent surtout que l’élément le plus important pour la fonction cérébrale n’est pas la zone corticale, mais les connexions qui s’établissent entre les différentes régions impliquées dans une fonction cognitive [2] (→).
(→) Voir la Nouvelle de G. Herbet et al., m/s n° 1, janvier 2017, page 84
On est donc passé d’une approche « localisationniste » à une approche « connectiviste » [3]. Dès lors, si l’on s’intéresse à la revalidation physique et aux mouvements, il ne s’agit plus uniquement de stimuler le cortex moteur mais de stimuler les connexions reliant toutes les zones impliquées : cortex pré-moteur, moteur, cervelet, noyaux de la base, etc., et également les zones en charge des fonctions cognitives. Il est donc nécessaire d’optimiser les types de stimulus appliqués.
Comment appliquer ces principes en clinique ?
La problématique et l’intérêt de la relation cerveau-corps ne sont pas nouveaux en médecine. L’exemple le plus connu de « tromperie » du cerveau est l’effet « placebo », dans lequel la suggestion du traitement va entraîner des modifications physiologiques induites par le cerveau qui pense avoir été traité [4, 11] (→).
(→) Voir la Nouvelle de P. Tétreault et A. Vania Apkarian, m/s n° 6-7, juin-juillet 2017, page 599
Ce mécanisme fonctionne également dans le sens inverse, lorsque l’administration d’un traitement sans principe actif déclenche des effets indésirables : l’effet « nocebo ».
Ce principe de leurrer le cerveau se retrouve également en revalidation physique dans la thérapie en miroir. Créée en 1996 et destinée, initialement, aux patients amputés d’un membre supérieur, cette thérapie ambitionne de tromper le cortex cérébral en projetant une image du membre présent sur le membre amputé grâce à l’utilisation d’un miroir [5]. Cette technique sera ensuite appliquée à des patients hémiplégiques : en bougeant le membre sain et en donnant l’illusion au cerveau qu’il s’agissait du membre atteint, on observe une augmentation de la motricité de ce dernier (Figure 1).
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Figure 1. Exemples d’exercices de revalidation « conventionnelle » effectués à l’aide d’un miroir (d’après [6]). |
Aujourd’hui, ce principe de revalidation par miroir est intégré dans des solutions de revalidation virtuelle (Figure 2). La réalité augmentée (qui correspond à l’ajout d’informations visuelles qui se superposent à la réalité) s’adapte en effet parfaitement à cette théorie et permet une immersion et des mouvements plus complexes que ceux réalisés avec le miroir.
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Figure 2. Système de réalité virtuelle combinant l’activité électromyographique et le principe de la thérapie en miroir chez un patient amputé pour lutter contre les douleurs liées au membre fantôme (d’après [7]). |
La réalité virtuelle permet également de pratiquer et d’entraîner une autre approche en kinésithérapie : l’entraînement en double-tâche. Comme son nom l’indique, l’entraînement en double-tâche consiste à réaliser simultanément deux tâches – souvent une tâche motrice et une tâche cognitive. L’exemple le plus connu de ce type d’entraînement est de demander au patient de marcher tout en décomptant. Les possibilités sont nombreuses pour effectuer des tâches cognitives couplées à une activité motrice, ou pour perturber le cerveau (par exemple l’inversion des mouvements gauches et droits, du haut et du bas, etc.) et le forcer à utiliser et créer d’autres connexions synaptiques au niveau du cortex cérébral, le tout afin d’améliorer la réhabilitation.
Outre ces techniques de réalité virtuelle, de simples exercices cognitifs réalisés à l’aide de jeux vidéo auraient un effet favorable sur le plan physique. Ainsi, après la mise en place d’une prothèse totale de hanche, l’effet positif d’un programme quotidien de 12 séances d’entraînement mental avec le jeu « Quel âge a votre cerveau » a été clairement démontré. Après ce programme, les patients « entraînés mentalement » présentent une meilleure évolution clinique que ceux qui ne sont pas entraînés, alors qu’ils n’ont pas fait plus d’exercice physique… Pratiquer une activité mentale améliore donc la revalidation des patients après arthroplastie de la hanche [6]. L’importance de la plasticité neuronale et de la complexité des différents circuits neuronaux mis en place est donc fondamentale.
L’inverse est-il vrai ?
Un entraînement cognitif, ou une duperie du cerveau, peut donc avoir une influence positive sur les aspects moteurs. L’inverse est-il vérifié ? Depuis les années 1990, le nombre d’études publiées sur le lien entre l’activité physique et les performances cognitives a connu une augmentation exponentielle.
Deux questions quant à la temporalité de l’effet de cette activité sur les performances cognitive se posent : l’effet de la pratique d’une activité physique sur les fonctions cognitives est-il immédiat et/ou est-t-il maintenu dans le temps ?
En ce qui concerne l’effet à court terme, l’activation du cortex cérébral de sujets ayant pratiqué une marche durant une période de 20 minutes est beaucoup plus importante en comparaison à celle de sujets restés assis, entraînant de facto une augmentation des capacités cognitives chez les premiers [7].
Au niveau des capacités à long terme du cerveau, une méta-analyse résumant les différentes recherches effectuées dans le domaine a mis en évidence une corrélation positive entre le développement des capacités pulmonaires et les capacités de calcul et de lecture [8]. Le type d’exercice (endurance, effort explosif ou musculation) ne semble toutefois pas avoir d’influence sur les performances cognitives [9]. Le choix peut donc être laissé au patient selon ses envies et ses aptitudes.
Quel avenir envisager ?
Prédire l’avenir n’est bien entendu pas chose aisée. Si, bien entendu, les théories sur le « mind uploading » relèvent de l’utopie, du cauchemar ou du rêve éveillé, nul ne peut nier que la technologie occupe une place de plus en plus importante dans nos sociétés, le domaine de soins de santé n’échappant pas à cette tendance [10] (→).
(→) Voir la Nouvelle de B. Bonnechère et al., m/s n° 6-7, juin-juillet 2016, page 544
Plutôt que d’adopter une attitude misonéiste4 contre-productive, ce nouveau paradigme pourrait être mis à profit afin d’améliorer la prise en charge des patients et multiplier les alternatives thérapeutiques susceptibles d’augmenter les formes de stimulus et d’améliorer la compliance des patients.
Outre l’amplification de l’offre et de la qualité du traitement, ces nouvelles techniques permettront des avancées importantes sur le plan de la pathophysiologie en prospectant des voies encore inexplorées et inexploitées. La compréhension des interactions entre les sphères cognitives et motrices semble donc importante pour le patient et la pratique du clinicien mais également pour la recherche en neuroscience et en sciences cognitives.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
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Figure 1. Exemples d’exercices de revalidation « conventionnelle » effectués à l’aide d’un miroir (d’après [6]). |
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Figure 2. Système de réalité virtuelle combinant l’activité électromyographique et le principe de la thérapie en miroir chez un patient amputé pour lutter contre les douleurs liées au membre fantôme (d’après [7]). |
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