Paludisme : le retour en force de Plasmodium vivax (brèves ; 05/05/2014)

Cause majeure de mortalité dans le monde, le paludisme est une des cibles privilégiées de l’OMS et des grandes ONG. Dans une série publiée par médecine/sciences consacrée aux travaux du réseau international des Instituts Pasteur (RIIP-Palu), Didier Menard et al. faisaient le point sur la résistance de Plasmodium falciparum aux antipaludiques [1]. Mais un récent Focus de Science [2] alertait sur l’importance grandissante de la morbidité due à Plasmodium vivax, et rappelait les différences entre les deux espèces : P. vivax s’observe en dehors des zones tropicales ; il est transmis par des dizaines de vecteurs qui piquent à toutes les heures du jour et de la nuit ; des formes sexuées existent dans la circulation sanguine, facilitant la transmission par les vecteurs, même en dehors des crises fébriles ; contrairement à P. falciparum, P. vivax n’entraîne ni rigidité ni adhérence accrue des globules rouges ; il n’attaque que les réticulocytes, ce qui rend le diagnostic plus difficile ; il survit sous forme d’hypnozoïtes (formes dormantes de très petite taille) dans les hépatocytes, pour réapparaître des mois, voire des années plus tard. Enfin, les populations africaines semblaient jusqu’à maintenant être protégées de cette malaria du fait de l’absence dans leurs globules rouges des récepteurs Duffy (Fya ou Fyb) nécessaires à la fixation de ce parasite. Mais, en 2010, des équipes de l’Institut Pasteur de Madagascar et de Paris ont montré que P. vivax était capable d’infecter des sujets Duffy négatifs [3]. Encore faudra-til comprendre comment. L’analyse des génomes de P. vivax isolés chez 189 patients de Madagascar révèle en particulier - chez 50 % d’entre eux - la duplication du gène codant la protéine liant la protéine Duffy (PvDBP) [4]. La découverte de cette mutation (récente puisqu’elle n’existait pas lors des séquençages de 2008) n’explique toutefois pas comment P. vivax est capable d’envahir des hématies Duffy (-). Si cette forme mutante de P. vivax franchit le canal du Mozambique, elle pourrait infecter des millions d’Africains et cette menace potentielle doit être surveillée ; le diagnostic d’infection à P. vivax ne doit désormais plus être écarté chez un voyageur Duffy (-) d’Afrique ou d’ailleurs.
Dominique Labie
Inserm U567-CNRS UMR 8104, Institut Cochin, Paris, France
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Références
- Ménard D, et al. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 647-55.
- Vogel G. Science 2013 ; 342 : 684-7.
- Mercereau-Puijalon O, Ménard D. Transfus Clin Biol 2010 ; 17 : 176-83.
- Menard D, et al. PLoS Negl Trop Dis 2013 ; 7 : e2489.
Identification de cellules progénitrices initiatrices du carcinome hépatocellulaire (brèves ; 05/05/2014)

Frédéric Lemaigre
Le cancer du foie ou carcinome hépatocellulaire (CHC), troisième cause de décès lié au cancer dans le monde, survient majoritairement dans un contexte d’hépatopathie chronique et de cirrhose. L’incidence annuelle du CHC est d’environ 5 % chez un patient cirrhotique. L’origine cellulaire de ces tumeurs est discutée, l’existence de cellules progénitrices initiatrices de CHC (HcPC) au sein de lésions prétumorales faisant toujours débat. L’équipe de M. Karin (University of California, San Diego, États-Unis) vient d’isoler et de caractériser des cellules de ce type à partir de deux modèles murins de tumorigenèse hépatique. Alors que le premier modèle est chimiquement induit par la classique diéthylnitrosamine (DEN), le second est un modèle génétique, plus proche du processus tumoral humain, puisque la délétion hépatospécifique de la kinase TAK1 (TGF-β activated kinase 1) induit la formation de CHC sur un foie préalablement cirrhotique. L’inflammation associée à la tumorigenèse est le point commun de ces deux modèles. La digestion par la collagénase des foies prétumoraux permet, dans les deux cas, d’obtenir deux populations cellulaires, une population de cellules isolées et une autre population de cellules hépatocytaires agrégées. Seules les cellules agrégées provoqueront, une fois réinjectées dans la rate de souris receveuses, une tumorigenèse hépatique à condition que le foie de celles-ci soit chroniquement lésé. Ces cellules expriment des marqueurs hépatocytaires et biliaires, suggérant qu’elles sont bipotentes. L’analyse transcriptomique de ces HcPC issues des deux modèles révèle non seulement des similitudes entre elles, bien que leur étiologie soit différente, mais aussi avec les cellules progénitrices dites ovales et les cellules issues de CHC constitutés. Un enrichissement en marqueurs exprimés par des cellules souches cancéreuses comme CD44, CD90 ou EpCAm est également noté. Enfin, la voie de signalisation de l’IL-6, dont les composants sont enrichis dans les HcPC et les CHC, semble être essentielle à la progression tumorale, son inhibition réduisant le potentiel tumorigène de ces cellules après transplantation. Cette expression augmentée d’IL-6, via LIN-28, et de STAT3, est également retrouvée dans des lésions prétumorales, encore appelées nodules dysplasiques, chez des patients infectés chroniques par le virus de l’hépatite C. Même si l’origine cellulaire de ces progéniteurs tumoraux n’est toujours pas identifiée dans ce travail (cellule ovale progénitrice ou hépatocyte dédifférencié ?), il semble bien que la progression des lésions dysplasiques vers un CHC passe par ces cellules progénitrices, et qu’une inhibition pharmacologique de la voie IL-6/STAT-3, déjà activée dans ces lésions prétumorales, puisse avoir un impact dans la prévention de leur progression vers la malignité.
Hélène Gilgenkrantz
Inserm U1016-CNRS UMR 8 104, Institut Cochin, Paris, France
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Référence
- He G, et al. Cell 2013 ; 155 : 384-96.
Plantes contre herbivores, défense et contre-attaque (brèves ; 05/05/2014)

Patrice Latron
Les réactions des plantes aux attaques extérieures sont innombrables [1] : contre des pathogènes microbiens, la plante peut utiliser l’acide salicylique (SA), et contre les insectes herbivores, elle se défend grâce à l’acide jasmonique (JA)/éthylène (ET). Entre ces deux voies de signalisation, l’interaction est permanente et antagoniste. Les insectes herbivores, quant à eux, réagissent par la sécrétion dans leur salive d’effecteurs susceptibles de contrer cette défense. Des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie viennent d’analyser le rôle que jouent dans cette parade les symbiotes microbiens de ces herbivores [2]. De nombreux exemples connus, montrant que les herbivores ont détourné à leur profit énergie, nutriments et vitamines de la plante sont cités par les auteurs qui ont recherché par quel mécanisme des symbiotes influencent l’interaction plante-insecte [3]. Par exemple, comment les larves de doryphores (Colorado potato beetle) (CPB), parasites de la pomme de terre, réussissent-elles à surmonter la réaction de défense de la tomate (Solanum lycopersicum) dont elles consomment aussi les feuilles ? Une comparaison entre l’action de larves traitées par antibiotique (détruisant les symbiotes microbiens) et celle de larves non traitées, montre que seules ces dernières diminuent les réponses anti-herbivores de la voie JA, en augmentant par ailleurs les réponses de la voie SA, confirmant l’antagonisme de ces 2 voies. Cette réaction n’est pas observée chez la tomate NahG, déficiente en SA, confirmant que la défense JA dépend de la voie SA. Une action similaire de la tétracycline sur la chrysomèle des racines de maïs (D. virgifera virgifera) avait aussi été décrite, mais sans être interprétée [3]. Ainsi, on constate que des réactions à l’attaque d’insectes herbivores sont comparables à celles dirigées contre les pathogènes microbiens, sous contrôle de la voie SA. Comment peut-on l’expliquer ? Tout simplement parce que les larves possèdent dans leurs sécrétions salivaires (en l’absence d’antibiotiques) des bactéries : trois familles de bactéries, Senotrophomonas, Pseudomonas et Enterobacter, dont le rôle dans la suppression des défenses est prouvé par la suppression de l’activité polyphénol oxydase (PPO) (la mesure de cette activité est le reflet de celle de la voie de l’acide jasmonique), ont été trouvées. La preuve est apportée par le fait que la réinoculation de ces bactéries dans des larves traitées par antibiotiques restaure la suppression de l’activité PPO, reflet de la défense de la plante hôte. L’ensemble des résultats montrent donc la possibilité pour les insectes herbivores d’exploiter leurs symbiotes qui se comportent en effecteurs, la plante percevant alors l’attaque comme celle d’un pathogène bactérien. Le doryphore herbivore peut ainsi se soustraire à la défense spécifique de l’hôte, et ce via l’interaction négative entre les deux voies de signalisation JA et SA. Ceci n’est qu’un exemple des innombrables ruses qu’utilisent les herbivores contre leurs hôtes.
Dominique Labie
Inserm U567-CNRS UMR 8 104, Institut Cochin, Paris, France
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Références
- Felton GW. Curr Opin Plant Biol 2008 ; 11 : 457-63.
- Chung SH, et al. Proc Natl Acad Sci USA 2013 ; 110 : 15728-33.
- Barr KL, Hearne LB. PLoS One 2010 ; 5 : e11339.
De la qualité avant tout ! (brèves ; 05/05/2014)

Patrick Schultz
Il est communément décrit que l’efficacité des activités de R&D des sociétés de biotechnologie de petite taille est meilleure que celle des grands groupes pharmaceutiques dans le domaine de l’innovation thérapeutique. En fait, des analyses récentes, comme celle publiée en décembre 2013 dans Nature Reviews Drug Discovery [1], montrent que la taille n’est pas un facteur clé de succès. En analysant le devenir de 842 molécules (dont 205 ont atteint le marché et 637 ont été arrêtées au cours du développement clinique) par rapport à 18 critères aussi variés que les caractéristiques physicochimiques du produit, la cible moléculaire, le domaine thérapeutique visé, ou la taille du budget de R&D de la société concernée, il apparaît que ni la taille de la société ni l’ampleur du budget de R&D n’influent sur la probabilité de succès de la recherche réalisée. Il en est de même de la localisation géographique du siège de la société, de la taille de l’indication visée en termes de marché potentiel, de la classe de la cible étudiée et du type de produit considéré. En revanche, les facteurs clés de succès sont la qualité de la science (publications et nombre de fois où celles-ci sont citées), l’intégration des activités de recherche dans des réseaux d’expertise, la stabilité des engagements illustrée par la durée du mandat des leaders, ainsi que la capacité à prendre des décisions en fonction du retour anticipé. Quand on sait que les deux tiers des produits qui échouent au cours du développement clinique auraient pu être arrêtés sur la base des données précliniques disponibles [2], définir le succès de la recherche de médicaments ne doit pas se limiter à la mesure de la progression des projets. La majorité des sociétés pharmaceutiques, pour accroître leur niveau d’innovation, changent leurs organisations et réduisent la taille de leur R&D. Il est préférable, pour qualifier le succès d’une recherche pharmaceutique, de mettre en avant l’analyse objective des données, la qualité des collaborations et partenariats, la capacité à intégrer les résultats obtenus avec une vision globale du produit recherché pour prendre toutes les décisions nécessaires et ne pas hésiter à accélérer ou arrêter un projet. Savoir appréhender le potentiel d’un projet le plus tôt possible sur des éléments aussi précis et qualifiés que possible devient une qualité majeure pour augmenter les chances de succès de la découverte de nouveaux médicaments.
Antoine Bril
IRIS, 53, rue Carnot, 92150 Suresnes, France
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Références
- Ringel M, et al. Nat Rev Drug Discov 2013 ; 12 : 901-2.
- Morgan P, et al. Drug Discov Today 2012 ; 17 : 419-24.
Thérapie génique : deux nouveaux essais cliniques très prometteurs (brèves ; 28/01/2014)

L’équipe de Luigi Naldini (Milan, Italie) rapporte dans le même numéro de la revue Science le bénéfice thérapeutique d’une autogreffe de cellules hématopoïétiques CD34+ modifiées par un lentivirus dans deux affections héréditaires monogéniques, la leucodystrophie métachromatique (MLD) et le syndrome de Wiskott-Aldrich (WAS). Les résultats les plus remarquables concernent la première affection, la MLD [1]. En effet, cette maladie neurodégénérative, due à un déficit en arylsulfatase (ARSA), est redoutable. Sa forme infantile aboutit en quelques années au décès dans un contexte de détérioration neurologique et de dégradation progressive des fonctions intellectuelles et motrices. Trois patients ont été traités précocement et le recul actuel est de 18 mois à un peu plus de 2 ans. La proportion de cellules génétiquement modifiées dans la moelle osseuse était particulièrement élevée (45 à 80 %). Le bénéfice clinique a été objectivé sur l’imagerie cérébrale et sur les paramètres électrophysiologiques et biochimiques. L’imagerie par résonance magnétique montre une stabilisation de discrètes lésions alors que ce n’est pas le cas de la fratrie atteinte ou de patients du même âge qui présentent une démyélinisation cérébrale étendue. L’amélioration des performances motrices et cognitive des enfants fut continue et deux des trois patients sont restés asymptomatiques à l’heure où l’évolution habituelle de la maladie prédisait le début des symptômes. Enfin, le liquide céphalorachidien contenait des niveaux détectables d’ARSA. Le syndrome de Wiskott-Aldrich est une immunodéficience caractérisée par un eczéma, une thrombocytopénie et un risque élevé de développer maladies auto-immunes et cancers, notamment des lymphomes. Les cellules immunitaires dépourvues de protéine WASP ont des réponses proliférative, migratoires et cytotoxiques altérées. Trois patients ont été traités selon le même protocole que précédemment [2]. Le pourcentage de cellules transduites dans la moelle osseuse des patients est de 25 à 50 %. Si le taux des plaquettes n’est pas revenu à la normale, son augmentation fut néanmoins suffisante pour protéger jusqu’à présent les patients d’hémorragies intercurrentes. Contrairement aux études précédentes qui avaient utilisé des vecteurs rétroviraux, aucun enrichissement en oncogènes n’a été retrouvé dans les deux études parmi les sites d’insertion des vecteurs lentiviraux utilisés. De plus, certaines modifications du protocole, en particulier la greffe des cellules très rapidement après leur transduction, expliquent probablement l’amélioration du pourcentage de cellules hématopoïétiques corrigées implantées. Il s’agit donc de résultats très encourageants dont il faudra cependant attendre l’effet thérapeutique à long terme. Néanmoins, on peut déjà supposer que les lentivirus supplanteront désormais les rétrovirus dans les essais de thérapie génique des maladies hématopoïétiques de ce type.
Hélène Gilgenkrantz
Inserm U1016, CNRS UMR 8104, Institut Cochin, Paris, France
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Références
- Biffi A, et al. Science 2013 ; 341 ; 1233158.
- Aiuti A, et al. Science 2013 ; 341 ; 1233151.