Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 87 - 89
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024198
Published online 31 January 2025

La récupération d’empreintes digitales pour l’identification individuelle post mortem se heurte à de nombreuses difficultés. Différentes méthodes ont été proposées pour essayer d’améliorer la qualité des tissus momifiés. L’article de Fernandez et al. présente une méthode originale et prometteuse à base de fruits. Au lieu de recourir à des procédés chimiques classiquement utilisés pour réhydrater les tissus, ces auteurs ont en effet préféré une approche plus écologique : l’utilisation de jus de papaye et d’ananas [1]. Les nombreuses propriétés enzymatiques des fruits sont de plus en plus utilisées dans différents domaines (alimentation, dermatologie, santé, etc.), mais leur utilisation en contexte médico-légal et dans la procédure judiciaire d’identification est inédite.

Les fruits à l’honneur

Malgré les nouvelles techniques disponibles, les méthodes naturelles connaissent un essor certain dans le domaine biomédical. Remèdes miracles ou «  de grand-mère  », les éléments organiques font leur retour dans les cabinets médicaux et les laboratoires. C’est le cas, par exemple, de la célèbre Aloe vera et de ses multiples utilisations en médecine, pharmacie et cosmétique [2]. Ici, les auteurs se sont intéressés à deux fruits tropicaux : l’ananas et la papaye, et à leurs propriétés réhydratantes par le biais de leurs enzymes protéolytiques, respectivement la bromélaïne et la papaïne [3, 4]. Ces endopeptidases font partie de la famille des protéases à cystéine1, qui hydrolysent certaines liaisons peptidiques entre les acides aminés constitutifs des protéines (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Représentation schématique de l’action d’une cystéine protéase sur les liaisons peptidiques des protéines cibles. Une protéase à cystéine possède une cystéine (Cys) et une histidine (His) dans son site actif. La déprotonation du groupe thiol (-SH) de la cystéine par la chaîne latérale basique de l’histidine voisine est suivie de l’attaque nucléophile, par l’anion sulfure de la cystéine déprotonée, du groupe carbonyle de la liaison peptidique de la protéine cible, ce qui provoque la coupure de cette liaison.

La bromélaïne est déjà traditionnellement utilisée pour attendrir la chair des viandes, pour faciliter la digestion (en fragmentant les protéines dans le tube digestif), ou encore pour son pouvoir anti-inflammatoire en cas de blessure ou d’arthrite [5]. Fernandez et al. n’ont pas sélectionné l’ananas et la papaye par hasard. En effet, la bromélaïne et la papaïne sont aussi connues pour leurs effets sur la prolifération, la différenciation et l’apoptose des cellules de la peau. Leur action sur le collagène et l’élastine facilite le remodelage de la peau et sa cicatrisation en cas d’agression cutanée [6]. De plus, la papaïne aide à éliminer les tissus nécrosés, et peut donc faciliter la cicatrisation de brûlures ou de plaies cutanées [7].

Une nouvelle méthode «  vitaminée  » pour la récupération des empreintes digitales

Des méthodes périmées

La dessication est un phénomène naturel entraînant la suppression de l’eau (déshydratation) contenue dans un corps après la mort. Selon l’environnement, le corps mort peut subir une déshydratation rapide et étendue des tissus, entraînant leur durcissement et une diminution de leur volume. Ce phénomène nuit à l’identification de l’individu décédé. C’est dans ce contexte que diverses méthodes ont été proposées pour tenter de récupérer des empreintes digitales après la mort. La plupart de ces méthodes nécessitent une réhydratation des tissus avant la récupération d’empreinte. Cependant, lorsque la réhydratation s’effectue avec de l’eau chaude, il est fréquent d’observer des modifications de l’empreinte, à l’instar du protocole à base de talc2 [8, 9]. Les méthodes de réhydratation fondées sur l’utilisation d’hydroxyde d’ammonium (NH4OH) ou de potassium (KOH) se sont révélées efficaces, mais destructives et corrosives. Il existe des techniques permettant la visualisation du dermatoglyphe (plis et crêtes épidermiques), comme avec le carbonate de sodium (Na2CO3) et la solution d’urée (CH4N2O), mais elles s’avèrent peu concluantes pour la récupération de l’empreinte digitale [10].

D’autres procédés, moins agressifs, existent, mais ils présentent des inconvénients majeurs. Par exemple, la qualité de l’empreinte digitale que l’on peut obtenir par transillumination3 dépend de la manière dont le technicien réalise le prélèvement de la pulpe [8]. Si la récupération d’empreinte se fait à l’aide de latex liquide, il est alors impératif que le doigt n’ait pas été traité préalablement avec l’hydroxyde de sodium (NaOH) afin d’assurer la bonne adhérence du produit. Sinon l’empreinte récupérée sera partielle ou de mauvaise qualité, et nécessitera l’utilisation de scanners optiques onéreux [11]. Ainsi, aucune méthode ne permet, à ce jour, l’identification fiable d’une empreinte digitale à partir de tissus momifiés.

«  Les jus sont faits  »

Dans leur article, Fernandez et al. testent les propriétés des enzymes protéolytiques de l’ananas (bromélaïne) et de la papaye (papaïne) pour ramollir et réhydrater des doigts momifiés [1].

Après l’amputation post mortem d’un doigt (pouce ou index droit), des mesures de son poids, de sa taille et de son volume initial sont effectuées afin de pouvoir les comparer à celles obtenues après la réhydratation des tissus. Le doigt est ensuite immergé dans des solutions de jus d’ananas, de papaye, ou d’hydroxyde de sodium (NaOH) pour l’attendrir. L’incubation dans les jus de fruits dure 24 heures à température ambiante (22 °C), tandis que l’incubation dans la solution de NaOH dure 2 heures à 37 °C. Cette dernière technique, utilisée comme témoin positif, est à ce jour la plus répandue. Pour calculer l’augmentation de volume du doigt due à sa réhydratation, celui-ci est ensuite plongé dans un récipient gradué rempli d’eau, en ayant soin de le protéger du contact direct avec l’eau par un gant de nitrile afin d’éviter un biais d’interprétation du résultat. La différence observée avec la mesure initiale (effectuée avec la même précaution) indique alors l’augmentation du volume. La dernière étape consiste à injecter chacune des solutions directement dans le doigt réhydraté à l’aide d’une seringue pour maximiser la prise de volume. Quand le dermatoglyphe digital est visible à l’œil nu et que le volume du doigt semble suffisant pour une prise d’empreinte, l’injection est stoppée. Afin de répartir le produit injecté de façon homogène, des massages bilatéraux du doigt sont pratiqués. Toutes les mesures sont de nouveau effectuées comme précédemment, puis les empreintes digitales sont récupérées à l’aide d’un tampon à encre. La technique utilisant la solution de NaOH est efficace, mais particulièrement corrosive. En effet, la solution de NaOH utilisée (à pH 13) endommage les tissus cutanés et entraîne leur dégénérescence. Les résultats d’identification d’empreinte digitale obtenus par cette technique sont donc très variables en raison d’une baisse de la qualité d’impression. En revanche, les doigts trempés dans les jus de fruits ne présentent aucune dégradation du tissu dermique et offrent des empreintes de qualité satisfaisante.

Les résultats obtenus à partir des mesures effectuées avant et après traitement montrent une meilleure efficacité de réhydratation pour le jus d’ananas que pour le jus de papaye et la solution de NaOH. En effet, le rapport des masses et celui des volumes avant et après traitement de réhydratation est toujours supérieur pour le jus d’ananas en comparaison des autres solutions. Il est à noter que l’analyse statistique a montré des différences significatives entre les capacités de réhydratation du jus d’ananas et du jus de papaye à l’avantage du premier. L’utilisation du jus d’ananas semble donc être la meilleure option pour la réhydratation. Le jus de papaye est efficace, mais moins que le jus d’ananas (Figure 2).

thumbnail Figure 2.

Diagramme comparatif des gains en volume et en masse pour trois solutions de réhydratation des doigts momifiés.

L’utilisation du jus d’ananas permet de restaurer un dermatoglyphe de bonne qualité grâce à une meilleure prise de volume et de masse en vue de l’identification d’une personne décédée à l’aide de son empreinte digitale. Elle présente de nombreux avantages : non-onéreuse, fondée sur des produits naturels, et facile d’utilisation. Elle pourrait donc être utilisée en routine.

Pour conclure…

Les résultats de ce travail de recherche valident une nouvelle utilisation de la papaye et surtout de l’ananas en dehors du contexte alimentaire, dans une démarche d’identification de personnes décédées à partir de leurs empreintes digitales post mortem [1]. Ces fruits, déjà connus du grand public pour leurs vertus digestives et hydratantes, voient donc leur champ d’utilisation s’élargir. Quelle sera la prochaine utilisation ? Dans le contexte sanitaire actuel, des résultats de travaux de recherche récents indiquent que la bromélaïne de l’ananas, par ses effets cardioprotecteurs, anti-inflammatoires, ou encore antiviraux, pourrait être un allié utile dans la lutte contre la COVID-19, comme elle semble déjà l’être dans la lutte contre le cancer [12].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Une protéase à cystéine (ou cystéine protéase) est une enzyme qui coupe les liaisons peptidiques entre les acides aminés des protéines en utilisant un résidu cystéine présent dans son site actif.

2

Protocole à base de talc : après réhydratation du doigt ou si cette étape n’est pas nécessaire, une poudre blanche à base d’amidon de maïs (poudre pour bébé) est appliquée sur la pulpe du doigt. L’excès de poudre est ensuite retiré à l’aide d’une brosse pour obtenir une image en négatif de l’empreinte digitale.

3

Transillumination : méthode d’examen consistant à diriger un faisceau de lumière intense à travers un tissu, un organe ou la paroi d’une cavité interne.

Références

  1. Fernandez F, Thumaty N, Climer CR, et al. Papaya and pineapple juices facilitate rehydration of mummified dermal tissue for fingerprint capture. J Forensic Sci 2022 ; 67 : 735–40. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Rahman S, Carter P, Bhattarai N. Aloe Vera for tissue engineering applications. J Funct Biomater 2017 ; 8 : 6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Agrawal P, Nikhade P, Patel A, et al. Bromelain: A potent phytomedicine. Cureus 2022 ; 14 : e27876. [PubMed] [Google Scholar]
  4. Novinec M, Lenarčič B. Papain-like peptidases: structure, function, and evolution. Biomol Concepts 2013 ; 4 : 287–308. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Taussing S, Yokoyama M, Chinen A, et al. Bromelain: a proteolytic enzyme and its clinical application. Hiroshima J Med Sci 1975 ; 24 : 185–93. [PubMed] [Google Scholar]
  6. Mataro I, Delli Santi G, Palombo P, et al. Spontaneous healing and scar control following enzymatic debridement of deep second-degree burns. ann Burns Fire Disasters 2017 ; 30 : 313–6. [PubMed] [Google Scholar]
  7. Starley IF, Mohammed P, Schneider G, et al. The treatment of paediatric burns using topical papaya. Burns 1999 ; 25 : 636–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Morgan LO, Johnson M, Cornelison J, et al. Two novel methods for enhancing postmortem fingerprint recovery from mummified remains. J Forensic Sci 2019 ; 64 : 602–6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Fields R, Molina DK. A novel approach for fingerprinting mummified hands. J Forensic Sci 2008 ; 53 : 952-5. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Chen CC, Yang CK, Chen CY, et al. Comparison of rehydration techniques for fingerprinting the deceased after mummification. J Forensic Sci 2017 ; 62 : 205-8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  11. Porta D, Maldarella M, Grandi M, et al. A new method of reproduction of fingerprints from corpses in a bad state of preservation using latex. J Forensic Sci 2007 ; 52 : 1319-21. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  12. Hikisz P, Bernasinska-Slomczewska J. Beneficial properties of Bromelain. Nutrients 2021 ; 13 : 4313. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Représentation schématique de l’action d’une cystéine protéase sur les liaisons peptidiques des protéines cibles. Une protéase à cystéine possède une cystéine (Cys) et une histidine (His) dans son site actif. La déprotonation du groupe thiol (-SH) de la cystéine par la chaîne latérale basique de l’histidine voisine est suivie de l’attaque nucléophile, par l’anion sulfure de la cystéine déprotonée, du groupe carbonyle de la liaison peptidique de la protéine cible, ce qui provoque la coupure de cette liaison.

Dans le texte
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Diagramme comparatif des gains en volume et en masse pour trois solutions de réhydratation des doigts momifiés.

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