Réfléchir le vivant
Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 8-9, Août-Septembre 2024
Réfléchir le vivant
Page(s) 673 - 675
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024094
Published online 20 September 2024

Vignette (© Marc-André Selosse).

La mitose enchaîne deux divisions : celle du noyau, puis celle de la cellule. D’abord, l’enveloppe nucléaire, assise faite de deux membranes interrompues par des pores autorisant les échanges entre le nucléoplasme et le cytoplasme, se désagrège, et permet au contenu du noyau d’accéder aux microtubules localisés dans le cytoplasme. Puis les chromosomes, qui se sont entretemps condensés et individualisés, s’attachent aux microtubules du fuseau mitotique par leur kinétochore1 et se divisent en deux. Les deux lots de chromosomes, identiques, s’éloignent ensuite grâce aux microtubules, puis une enveloppe nucléaire se reforme autour de chacun d’eux. La cellule se divise finalement elle-même : ce processus, nucléaire puis cellulaire, identique chez les plantes et les animaux, semble typiquement eucaryote. Pourtant…

C’est oublier des dizaines d’autres lignées eucaryotes, souvent unicellulaires, au moins aussi anciennes et parfois aussi diversifiées que les plantes et les animaux, dont nous allons explorer quelques-unes : les champignons (ou Eumycètes), les mildious (ou Oomycètes, des parasites des plantes), les algues rouges, les Myxomycètes (des amibes parfois géantes, comme le célèbre blob), les Dinoflagellés (des algues unicellulaires dont certaines vivent en symbioses dans les coraux), ou encore les Alvéolobiontes et les Trypanosomidés (deux groupes de parasites unicellulaires, dont, respectivement, les plasmodies responsables de la malaria et les trypanosomes agents de la maladie du sommeil2). La division cellulaire prend des formes variées dans ces lignées… où l’enveloppe nucléaire ne disparaît pas toujours [1], et où l’accès des chromosomes aux microtubules se fait différemment.

Chez la levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae, un champignon unicellulaire), par exemple, la partie de la cellule qui coordonne l’assemblage des microtubules3 est enchâssée dans l’enveloppe nucléaire qu’elle traverse (Figure 1). Appelée spindle pole body (SPB), elle occupe une sorte de large pore de l’enveloppe nucléaire. Ainsi, des microtubules sont produits à la fois du côté nucléaire et du côté cytoplasmique. Peu avant la division nucléaire le SPB se sépare en deux parties qui migrent au sein l’enveloppe nucléaire, à l’opposé l’un de l’autre, et organisent un fuseau de microtubules intranucléaires. Celui-ci permet la séparation des chromosomes en deux lots, sans disparition de l’enveloppe nucléaire, avant qu’une constriction du noyau ne le divise en deux (Figure 1). On parle de division endomembranaire. Elle est la norme chez les champignons, même si les modalités varient : par exemple, chez la levure à fission4 Schizosaccharomyces pombe, le SBP est cytoplasmique mais migre dans l’enveloppe nucléaire avant la division.

thumbnail Figure 1.

Division nucléaire chez les champignons Ascomycètes. À gauche, étapes du cycle nucléaire (G1, G2 et division) chez la levure de boulanger ; les chromosomes apparaissent en rouge (avec l’aide d’Alain Jouy). À droite, microscopie électronique d’une division nucléaire chez Ascobolus stercorarius (avec l’autorisation de Denise Zickler) : les chromosomes (ch) ont migré grâce aux microtubules intranucléaires (m) et on observe un début de constriction du noyau.

Chez les Dinoflagellés, la division nucléaire fait intervenir des microtubules purement cytoplasmiques, qui s’engagent dans des invaginations de l’enveloppe nucléaire, laquelle reste intacte : ces microtubules ressortent de l’autre côté du noyau et se retrouvent donc dans des tunnels passant littéralement au travers du noyau [2], topologiquement à l’extérieur de celui-ci.

Les kinétochores des chromosomes interagissent avec eux, au travers de l’enveloppe nucléaire, et se séparent en deux lots avant une constriction finale du noyau. Dans d’autres groupes, comme les Trypanosomidés ou les algues rouges, une seconde structure assemblant les microtubules existe au sein du nucléoplasme, indépendamment du cytoplasme, qui met en place un fuseau le moment venu.

Entre l’ouverture complète et le maintien de l’enveloppe nucléaire existent des modalités intermédiaires, dites semi-ouvertes. Par exemple, des ouvertures limitées apparaissent dans l’enveloppe nucléaire où se glissent des microtubules cytoplasmiques permettant le ballet des chromosomes, comme chez les mildious et les plasmodies. Dans certains embryons animaux (nous y reviendrons), la division est d’abord semi-ouverte, puis l’enveloppe nucléaire disparaît lors de la séparation finale des deux lots de chromosomes.

Les avantages respectifs des différentes modalités restent flous et ne sont sans doute pas décisifs, comme le montre la persistance dans l’évolution d’une diversité de modalités de division. La division endomembranaire évite d’exposer l’ADN nucléaire au cytoplasme, riche en DNAses, moins protégé de l’insertion d’éléments génétiques parasites (virus, éléments transposables, etc.) et plus mutagène que le nucléoplasme. Dans les divisions plus ou moins ouvertes, les chromosomes sont souvent structurés, ce qui protège l’ADN de tels aléas mais exige une réorganisation plus profonde : notre vision du chromosome mitotique densément compacté est liée aux divisions nucléaires sans enveloppe nucléaire. La division nucléaire endomembranaire est donc moins complexe, car même si elle demande une réorganisation du noyau (au moins pour importer la tubuline des microtubules et augmenter son volume), elle évite une forte structuration chromosomique et la nécessité de restaurer l’enveloppe nucléaire après la division. Toutefois, quand le génome, et donc le noyau, sont très gros, la dilatation de l’enveloppe nucléaire requise pour abriter le fuseau de microtubules devient coûteuse en membranes pour la cellule : rien n’est donc parfait.

Pour discuter plus avant l’intérêt des types de division nucléaire, il faut aussi considérer le dernier temps : la division de la cellule ellemême, qui n’est pas forcément synchrone. En effet, chez de nombreux eucaryotes, elle ne suit pas celle du noyau et cela produit des syncytiums5, c’est-à-dire des espaces cytoplasmiques de plus ou moins grande taille abritant plusieurs noyaux. Comme ces derniers peuvent se diviser en même temps, des divisions endomembranaires assurent des fuseaux séparés et évitent les mélanges de chromosomes ! Divers eucaryotes sont des syncytiums, par exemple parmi les algues : la Caulerpe (une algue verte connue des aquariophiles et envahissante en Méditerranée) ou le Codium, qui atteignent des dizaines de centimètres, sont faits d’un seul espace cytoplasmique non cloisonné mais multinucléé. Les filaments microscopiques constitutifs de nombreux champignons ne sont pas divisés en cellules (comme les Rhizopus de la croûte du Saint-Nectaire)… Les grandes amibes du groupe des Myxomycètes sont des syncytiums : leur organisme mobile, nommé plasmode, contiennent des centaines de noyaux entourés d’une membrane cellulaire commune ! Tous ces groupes présentent des divisions endomembranaires.

L’examen d’espèce où coexistent des cellules mononuclées et des syncytiums est révélatrice du lien au type de division nucléaire. Les Myxomycètes du genre Physarium présentent un premier stade de développement fait de vraies cellules à un seul noyau : la division nucléaire se fait alors avec désagrégation de l’enveloppe nucléaire et est suivie de celle de la cellule ! Chez certains animaux, la Drosophile ou Caenorhabditis elegans par exemple, des divisions nucléaires semiouvertes sont parfois observées à des stades précoces où l’embryon est un syncytium. Ultérieurement, celui-ci se cellularise et les divisions nucléaires impliquent alors une désagrégation de l’enveloppe nucléaire.

Si l’on comprend bien l’intérêt des divisions endomembranaires pour les noyaux des syncytiums, l’intérêt de la désagrégation de l’enveloppe dans les cellules à un seul noyau est moins net, d’autant qu’elle n’est pas systématique (rappelez-vous les Dinoflagellés, les Alvéolobiontes et les Trypanosomidés !). Nous avons suggéré plus haut que les plus gros génomes rendent coûteuses l’extension de l’enveloppe nucléaire si elle persiste durant la division, mais le lien à la taille du génome n’est pas prouvé. Autre suggestion : séparer les chromosomes dans le cytoplasme permettrait de mieux coupler leur répartition entre les futures cellules-filles à celle des autres compartiments du cytoplasme (vésicules, réticulum, mitochondries, voire plastes, etc.), mais ce couplage n’est pas non plus prouvé.

Une certitude émerge pourtant : la reconstitution des états ancestraux fondée sur l’arbre phylogénétique de l’ensemble des eucaryotes [3] démontre que de nombreuses interconversions se sont produites dans l’évolution des eucaryotes entre les différents types de divisions nucléaires. Surtout, la division endomembranaire et la présence de syncytiums sont des caractères ancestraux chez les eucaryotes, présents dans notre dernier ancêtre commun à tous !

L’enveloppe du noyau ne se désagrège donc pas toujours lors de sa division, les chromosomes ne sont dès lors pas toujours très individualisés et la division de la cellule ne suit pas toujours celle du noyau… Au rebours d’une généralisation hâtive, la mitose (au sens strict, un phénomène nucléaire et cellulaire) n’est donc pas générale chez les eucaryotes. Mais est-il étonnant que notre vision, étroitement et abusivement centrée sur les animaux et les plantes, nous laisse ignorer la diversité des eucaryotes et nous fasse croire que leurs ressemblances valent généralité ?

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Complexe protéique situé au niveau des centrosomes des chromosomes.

2

Aussi appelée trypanosomose humaine africaine.

3

On l’appelle parfois « centre organisateur des microtubules ».

4

Cette levure se reproduit non par bourgeonnement mais par fission binaire.

5

Cette organisation, qui contraste avec celle des cellules habituellement mononucléées, est aussi appelée cœnocyte, cénocyte ou encore cellule multinucléée.

Références

  1. Sazer S, Lynch M, Needleman D. Deciphering the evolutionary history of open and closed mitosis. Curr Biol 2014 ; 24 : R1099–103. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Gavelis GS, Herranz M, Wakeman KC, et al. Dinoflagellate nucleus contains an extensive endomembrane network, the nuclear net. Sci Rep 2019 ; 9 : 839. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Bremer N, Tria FDK, Skejo J, Martin WF. The ancestral mitotic state: closed orthomitosis with intranuclear spindles in the syncytial last eukaryotic common ancestor. Genome Biol Evol 2023 ; 15 : evad016. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Division nucléaire chez les champignons Ascomycètes. À gauche, étapes du cycle nucléaire (G1, G2 et division) chez la levure de boulanger ; les chromosomes apparaissent en rouge (avec l’aide d’Alain Jouy). À droite, microscopie électronique d’une division nucléaire chez Ascobolus stercorarius (avec l’autorisation de Denise Zickler) : les chromosomes (ch) ont migré grâce aux microtubules intranucléaires (m) et on observe un début de constriction du noyau.

Dans le texte

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