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Numéro
Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 6-7, Juin-Juillet 2024
Page(s) 550 - 554
Section Repères
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024071
Publié en ligne 8 juillet 2024

© 2024 médecine/sciences – Inserm

Vignette (© DR).

« Les humanités en santé : approches de terrain » sont coordonnées par Claire Crignon, professeure d’histoire et de philosophie des sciences à l’université de Lorraine, qui a créé le master « humanités biomédicales » à Sorbonne université.

« Le refus exprimé à l’occasion de telle ou telle proposition thérapeutique oblige à une réflexion éthique qui tienne compte du respect de la dignité du malade mais aussi de celle du médecin dans sa finalité professionnelle […]. Un refus de traitement est donc toujours au croisement d’enjeux multiples où le besoin de reconnaissance occupe probablement une place considérable » [1].

Le législateur a participé à la reconnaissance du patient dans sa complexité, son identité, en lui accordant le droit « de refuser ou de ne pas recevoir un traitement » (art. L. 1111-4 du Code de santé publique). Cette même reconnaissance est au cœur des principes d’éthique biomédicale selon Tom L. Beauchamp et James F. Childress [2]. Le principe du respect de l’autonomie postule en effet que le patient est le meilleur juge de ce qu’il souhaite pour lui-même. Il a pour traduction directe le droit au consentement comme au refus de traitement [3]. Le droit et l’éthique pensent donc le refus de soin comme le reflet du consentement au soin, l’un ne pouvant exister sans l’autre. Dès lors, nul ne doute que la place de la volonté du patient qui refuse un traitement soit cardinale. Pour autant, elle ne saurait occulter les interrogations relatives au respect de la conscience professionnelle1 des médecins.

La conscience professionnelle des équipes médicales est mise à rude épreuve par le refus de transfusion sanguine, souvent opposé par les témoins de Jéhovah. En effet, depuis 1945, la Watch Tower Bible and Tract Society2 prohibe les transfusions de produits sanguins labiles sur la base d’une observance littérale du Livre sacré et notamment des passages suivants : Gen.9, 3-6, Lev.17, 14 « Car l’âme de toute chair, c’est son sang, qui est en elle » et Act.15, 28-29. Cette lecture stricte fait du sang le siège de l’âme, de la vie, création divine. La force de cette règle repose également sur l’importance accordée par les témoins de Jéhovah au dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, et à la bataille du dernier jour, Armageddon. En ce jour, seuls 144 000 fidèles, parmi les plus purs, accéderont à la vie éternelle. Or, en l’absence de rémission des péchés chez les témoins de Jéhovah, il leur est impératif de suivre l’ensemble des règles qui dictent la conduite de leur vie pour être dans une relation pure avec Dieu et ainsi accéder à la vie éternelle3. La transfusion rendant le fidèle impur, elle compromet son salut au dernier jour.

Cette prescription, à laquelle s’ajoutent aujourd’hui l’argument des risques de complications liées à la transfusion et celui des progrès médicaux permettant de recourir à des alternatives, est à l’origine de la relation complexe entre les soignants et les témoins de Jéhovah. Ainsi des comités inter-hospitaliers ont-ils été mis en place par les témoins de Jéhovah. Ils interviennent à la demande du patient ou du médecin. Les discussions conduisent, d’un côté, les témoins de Jéhovah à reconnaître certains des bienfaits de la médecine4 et encouragent, de l’autre, les soignants à développer et à proposer des solutions de prise en charge novatrices telles que la mise en place d’un « contrat transfusionnel », stipulant les limites à l’engagement de ne pas transfuser, de stratégies d’épargne sanguine, ou de stratégies pré et post-opératoires évitant les transfusions.

Étudier le refus de transfusion sanguine tel qu’il est exprimé par des témoins de Jéhovah montre que le principe du respect de l’autonomie ne suffit pas à régler le dilemme des médecins. En vertu du seul respect de la parole donnée, il devrait être systématiquement proscrit de transfuser un témoin de Jéhovah qui a précisé son refus, peu importe l’ampleur des conséquences de cette décision. La situation est pourtant loin d’être simple. Les juges refusent d’ailleurs de sanctionner un médecin qui outrepasse le refus du patient si la transfusion est vitale : jurisprudence du « ni-ni » qui ne sanctionne ni le médecin qui respecte la volonté du patient ni celui qui va à son encontre. Peut-être parce qu’ils se retrouvent seuls face à ce dilemme, des médecins se tournent parfois vers le Centre d’éthique clinique (Cec) de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

La tentation est grande de considérer que, si le recours à l’autonomie n’est pas suffisamment opératoire dans ces situations, c’est en réalité parce que les patients en sont dépourvus. Sous emprise, les témoins de Jéhovah ne seraient pas à même d’émettre une volonté authentique, ce qui rendrait les médecins légitimes à décider pour eux. La pente de l’autonomie est glissante : il est tentant de disqualifier l’autonomie d’un patient lorsque l’objet de sa volonté est inédit, incongru, dangereux.

Emblématique, la question du refus de transfusion sanguine par des témoins de Jéhovah n’est pourtant pas épuisée. Depuis mai 2020, 19 patients ont été adressés au Cec par le service de chirurgie thoracique de l’hôpital Cochin pour refus de transfusion sanguine exprimé en amont d’une opération chirurgicale prévue peu de temps après. Chacune de ces situations a donné lieu à des entretiens d’éthique clinique avec les patients pour comprendre leur position et les arguments qui la soutiennent.

Il ressort de ces entretiens que le postulat selon lequel toute personne est, par principe, autonome s’applique aux témoins de Jéhovah, à condition de ne pas les considérer in abstracto sous emprise5. Et si le recours à l’autonomie se révèle insuffisant pour analyser globalement les situations de refus de traitement, ce n’est pas parce que l’autonomie n’existe pas – et devrait donc être disqualifiée – mais, à l’inverse, parce que le recours au principe d’autonomie existe trop – et mérite donc d’être relativisé. En effet, la volonté du patient ne doit pas être entendue isolément mais, à l’inverse, être intégrée dans le paysage médical qui comprend inéluctablement des tiers. C’est dire que le recours à l’autonomie ne saurait absorber les autres principes de l’éthique clinique, et en particulier ici, le principe de justice, en ce qu’il protège le bien « vivre-ensemble » [3] et garantit donc le respect de la conscience professionnelle des médecins. Il s’agit finalement de concilier les principes entre eux pour rendre à l’autonomie sa juste place.

La coopération innovante entre le service de chirurgie thoracique de l’hôpital Cochin et le Cec illustre cette recherche de conciliation. Au-delà de la singularité de chaque situation, une certaine modélisation de la réponse médicale peut être proposée. Une démarche similaire a déjà été engagée par la sociologue Janine Barbot (Centre d’étude des mouvements sociaux) [4] sur la base des positionnements éthiques des médecins. Il convient d’y ajouter une variable, celle de la position éthique des patients. Cela suppose une réflexion adaptée à chaque patient quant à l’information donnée, l’importance conférée au consentement libre et éclairé, et le niveau d’engagement du professionnel.

Lorsque le refus est clairement établi, même si l’expression de l’autonomie peut être déconcertante pour l’équipe médicale, celle-ci devra composer avec la volonté du patient pour concilier le principe du respect de l’autonomie et le principe de justice. En revanche, lorsque le patient doute plus qu’il ne décide, l’équipe médicale devra investir d’autres principes que le seul respect de l’autonomie.

La volonté établie de refuser la transfusion sanguine : se confronter au principe d’autonomie

Les entretiens d’éthique clinique menés avec des patients refusant une transfusion sanguine ont révélé que l’expression de leur volonté recouvre des réalités diverses. Il arrive que la volonté des patients soit suffisamment ancrée pour les conduire à accepter le risque mortel – 7 des 19 patients reçus en entretien. Pour d’autres, leur volonté de refuser la transfusion doit se conjuguer avec leur volonté de rester en vie – 7 des 19 patients reçus en entretien. Chacune de ces situations conduit à composer avec l’expression de l’autonomie.

Le respect du refus de transfusion sanguine en dépit du risque mortel

Un patient, qui perçoit le risque mortel de l’absence de transfusion et qui l’assume, exprime un refus qui heurte de plein fouet l’engagement déontologique des médecins de prodiguer les soins nécessaires à la sauvegarde de la vie de leurs patients. Pour autant, en affirmant par exemple « J’ai dit “pas de transfusion”, quelles que soient les circonstances, pour me laisser mourir »6, le patient exprime une volonté univoque. Du point de vue juridique, c’est exactement la situation envisagée par la loi lorsqu’elle dispose que le patient a le droit « de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ». Du point de vue éthique, c’est l’expression même du principe d’autonomie.

Le respect du refus exprimé par le patient au nom du principe d’autonomie est incompatible avec le respect de la conscience professionnelle du médecin relevant du principe de justice. Aucune combinaison ne permet de sauvegarder les deux principes, il n’est pas possible de transfuser « un peu », « ce qui compte essentiellement pour un témoin de Jéhovah, ce n’est pas la quantité de sang reçu mais bien le fait d’en recevoir » [5]. Dès lors, qu’opposer à une patiente de 65 ans, atteinte d’un cancer du sein, qui déclare « Ma vie avec Dieu passe avant ma vie avec mes enfants » ?

Deux arguments sont alors soulevés par les équipes médicales réticentes à respecter le refus de transfusion sanguine. L’un est lié au patient, il s’agit de disqualifier sa volonté (par exemple « on ne peut pas anticiper, les gens changent d’avis face à la mort »). L’autre est lié à l’équipe, il consiste à invoquer le respect de leur liberté de conscience (par exemple « notre mission est de privilégier la vie »). Aucun de ces deux arguments n’est convaincant.

D’abord, la tentative de disqualifier la volonté du sujet et de sortir ainsi du giron du principe d’autonomie est vaine face aux patients qui assument le risque mortel en indiquant expressément « Je suis prêt à mourir ». La disqualification de la volonté semble alors relever de stratagèmes visant à ne pas la respecter : la dernière volonté exprimée serait trop ancienne, le patient ne serait pas en pleine possession de ses moyens, il y aurait urgence vitale, etc. Ce procédé consiste finalement à refuser de considérer comme une manifestation de volonté autonome les choix allant à l’encontre de ce que le médecin juge bon pour son patient. « On substitue pour des personnes majeures la volonté du médecin à leur volonté exprimée très clairement et de manière réitérée – geste incontournable de paternalisme médical » [6].

Dans le même sens, on constate que, même du côté des équipes qui respectent le refus de transfusion, leur position varie selon que le pronostic vital est engagé ou non par le fait de ne pas transfuser. Dès lors, le respect de l’autonomie reste affiché mais celui de la vie prime : la volonté est respectée surtout lorsqu’il n’y a rien à perdre! Respecter à tout prix la volonté du patient impliquerait d’accepter de le laisser mourir du seul défaut de transfusion.

Ensuite, l’argument de la liberté de conscience est à double tranchant, car il est davantage question d’une « rivalité de consciences »7 que d’une conscience unilatérale. Ne pas forcer un médecin à agir contre sa conscience ne saurait justifier qu’il agisse contre celle du patient, d’autant plus que le patient est celui qui est concerné en premier chef par la décision en débat. Ici aussi, il convient d’éviter une forme de paternalisme donnant l’illusion que ce que dicte la conscience professionnelle du médecin est nécessairement le mieux pour le patient.

La liberté de conscience religieuse n’est pas non plus un argument d’autorité pour écarter systématiquement la volonté exprimée en son nom8. La liberté de conscience religieuse ne peut être considérée par principe comme illégitime dans la relation de soin, instant où la peur et la souffrance occupent une place importante [7].

Dès lors, aucun élément ne semble peser suffisamment pour ignorer la volonté fortement et librement éclairée de préférer la mort à la transfusion. L’obstacle de la non malfaisance ne s’impose pas : lorsque le patient juge plus violent pour lui d’être transfusé que de mourir, n’est-il pas plus malfaisant de le transfuser contre son gré pour l’obliger à vivre que de le laisser mourir ? La malfaisance ne se trouve pas nécessairement là où on la présume.

La préférence donnée à la volonté de vivre au détriment du refus de transfusion sanguine

Certaines volontés exprimées sont équivoques. Une partie des patients reçus en entretien fait valoir le refus de toute transfusion avec autant de force que la nécessité de vivre. Comme tous les autres, ces patients ont été informés que l’absence de transfusion pouvait être mortelle. Leur volonté est donc éclairée, seulement, elle prend une double direction apparemment opposée. Lorsqu’un patient de 65 ans ayant déjà refusé une transfusion quatre ans auparavant, alors même que son taux d’hémoglobine était à 2,5 g/100 ml de sang9, déclare « La vie c’est cher. Je ne veux pas mourir. Mais la transfusion serait très dure pour moi… spirituellement surtout », il affirme avec autant de force chacune des deux positions sans chercher à résoudre leur contradiction. La volonté n’est pas tant ambivalente que plurielle : deux volontés contradictoires s’opposent dans l’individu.

Pour le médecin, la double affirmation comporte assez d’ambiguïté pour que le principe de bienfaisance offre une porte de sortie et conduise à retenir la volonté de vivre, et donc la transfusion. Le médecin retiendra la volonté commune aux deux parties, c’est-à-dire la volonté de vivre qui va dans le sens de la conscience professionnelle. Dans la discussion avec le patient, une issue est possible : tout mettre en œuvre pour ne pas transfuser sauf si un risque vital se présente.

L’aspect dual de la volonté du patient permet finalement de sortir du dilemme éthique en choisissant, entre le souhait de refuser la transfusion et celui de vivre, celui qui respecte la conscience professionnelle. L’équilibre reste toutefois périlleux et débouche sur plusieurs interrogations, notamment en termes d’information donnée au patient.

Au stade de l’information pré-opératoire, il s’agit de laisser à la volonté du patient une réelle chance de s’exprimer : « ce qu’on appelle le processus de « consentement libre et informé » est avant tout le droit reconnu et donné de pouvoir dire non »10. Cette possibilité dépend de la manière dont les risques sont présentés. Le patient sera plus enclin à accepter l’opération dès lors que le besoin de transfusion est minimisé. Il serait alors en mesure de penser avec certitude que le risque ne se réalisera pas. De la même manière, la peur de mourir pourrait conduire le patient à accepter l’opération et le risque de transfusion si le risque mortel a été majoré11. Dans l’un et l’autre cas, la perception de la réalité médicale par le patient se trouverait faussée, et le consentement fondé sur un socle erroné.

Au stade de l’information post-opératoire, peut-on aller jusqu’à cacher une transfusion réalisée pendant l’intervention ? Éthiquement, la transgression de l’obligation de transparence dans la relation liant le médecin à son patient paraît trop importante. Elle est en outre juridiquement interdite12 et impossible en pratique, étant donné que toute transfusion doit faire l’objet d’un traçage. Néanmoins, si c’est bien le principe de bienfaisance médicale qui justifie ici le geste de transfusion pour faire vivre le patient, est-ce que cette bienfaisance ne devrait pas être poussée jusqu’à laisser vivre le patient dans l’ignorance de la transfusion ?

Une réponse positive est difficile à accepter, pour les équipes médicales comme pour les juristes, mais n’est-ce pas là précisément le rôle de l’éthique que de conduire à s’éloigner des sentiers battus pour tenter de faire de la médecine autrement ? Le principe du respect de l’autonomie implique de respecter la volonté des patients, même lorsqu’ils demandent l’impossible et même lorsqu’ils sont témoins de Jéhovah. Cela place les équipes dans des situations extrêmes, mais les lignes d’une bonne pratique médicale sont mouvantes et se confronter à l’autonomie peut être inspirant.

L’absence de volonté affirmée en matière de transfusion sanguine : confronter le principe d’autonomie

Bien que l’ensemble des patients reçus en entretien au Cec aient manifesté, d’une manière ou d’une autre, leurs croyances religieuses ou leur intégration dans une communauté religieuse pour faire entendre leur refus d’être transfusé, certains ont aussi exprimé des arguments faisant douter que ce refus soit parfaitement établi (5 des 19 patients reçus en entretien). Tel est le cas des patients qui font état du respect de la position de chacun, à la fois pour expliquer leur refus et pour justifier qu’un médecin puisse passer outre. Que penser par exemple d’une patiente de 77 ans qui déclare « Je peux comprendre la position de l’anesthésiste, son but est de préserver la vie. Moi aussi je tiens à la vie, elle est précieuse, mais pas en transgressant la Bible » ?

L’appel au respect du positionnement de chacun peut dérouter en ce qu’il confronte le respect des valeurs personnelles du patient et celui de la conscience professionnelle du médecin. Lorsqu’un patient reconnaît qu’il limite la faculté d’action des médecins « malgré leur conscience » tout en disant que « ce serait difficile pour moi à leur place », il laisse à penser que le conflit de valeurs entre respect de l’autonomie et respect de la conscience professionnelle est reconnu par le patient lui-même.

Par ailleurs, certains entretiens d’éthique clinique font émerger des conflits de valeurs chez le patient lui-même. Ainsi, une femme âgée de 45 ans, mère d’un garçon adolescent, refuse la transfusion en tant que témoin de Jéhovah pour se « racheter » d’une vie pas assez pieuse (son mari avait quitté le domicile familial sans divorcer), mais ne peut imaginer laisser son enfant orphelin. Elle résume son conflit intérieur en disant : « Soit je suis une mauvaise mère, soit je suis une mauvaise croyante ».

Dans ces situations, le patient livre son propre dilemme au médecin, et on pourrait presque considérer qu’il le lui transfère. Dès lors, comment décider d’une transfusion ou non ?

Rechercher une expression claire et univoque de l’autonomie, alors même que le patient a exprimé un dilemme davantage qu’une volonté claire, ne pourra se faire qu’au prix d’une insistance auprès du patient jusqu’à ce qu’il tranche. Le risque existe que le patient, ne sachant que faire, refuse le geste opératoire et que sa maladie progresse. On peut aussi craindre que la négociation prenne des allures de chantage pour transformer le doute exprimé par le patient en consentement extorqué pour le transfuser in fine.

C’est pourquoi la voie de la responsabilité médicale peut sembler le chemin à suivre. Selon ce modèle, les convictions du patient sont entendues, l’information médicale est donnée, et aucune promesse n’est faite (« on vous a compris, on fera le maximum »). C’est sur le médecin que repose le poids de la décision. Le doute du patient est finalement interprété comme un appel à la confiance : le médecin a pris le temps d’écouter et le patient s’en remet à son appréciation.

On peut évidemment craindre là que la décision soit dominée par l’argumentaire médical, et que la transfusion soit choisie par principe, exemple du paternalisme médical. On peut également craindre que l’incertitude sur la conduite à tenir crée de l’anxiété chez le patient. La voie de la responsabilité médicale est donc difficile : ne pas assez informer serait paternaliste, mais trop informer pourrait se révéler malfaisant.

Conclusion

Dans la pratique médicale, le refus de transfusion est écarté, notamment via des formulaires de consentement à la transfusion. Dans la pratique juridique, le droit au refus de soin est affirmé par la loi mais ne gagne pas toujours dans les prétoires. Les entretiens réalisés auprès des patients témoins de Jéhovah et des équipes qui les prennent en charge montrent que, si le principe d’autonomie figure au rang des principes d’éthique biomédicale et doit être respecté autant que les autres, il ne permet pas de sortir indemne de tous les dilemmes. Seule une étude au cas par cas reposant sur une combinaison de l’ensemble des principes éthiques que sont l’autonomie, la non malfaisance, la bienfaisance et la justice, permet de proposer une issue. Dès lors, la casuistique s’opposant par nature à une opération de catégorisation, la classification proposée s’apparente davantage à un catalogue des questions à se poser qu’à une liste des réponses à apporter.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

Les auteurs remercient le Pr Marco Alifano, le Dr Yen-Lan Nguyen et leurs collègues pour leur collaboration au sein de l’hôpital Cochin ainsi que le groupe d’éthique clinique pour l’ensemble de leurs réflexions au long cours sur ce sujet.


1

Cette expression est utilisée tout au long de l’article pour homogénéiser les différentes expressions relatives à la conscience des professionnels. Il est entendu que cette « conscience professionnelle » renvoie à l’idée que chaque médecin se fait de sa fonction, et qu’elle peut ainsi être alimentée par des éléments liés à l’exercice de sa profession mais aussi à sa personnalité.

2

La Watch Tower Bible and Tract Society est l’entité légale utilisée par les témoins de Jéhovah, et notamment le Collège central, afin de définir leur ligne religieuse.

3

Voir en ce sens : « Que dit-elle [la Bible] de l’utilisation du sang par les humains ? Explique-t-elle comment des vies peuvent être sauvées grâce au sang ? La Bible montre clairement que le sang est plus qu’un liquide biologique complexe. Plus de 400 fois elle emploie le mot, et dans quelques cas il est question de sauver des vies. L’une des premières fois où l’on rencontre ce mot, le Créateur déclare : “Tout ce qui remue et qui vit pourra vous servir de nourriture […]. Cependant vous ne devez pas manger la viande qui contient encore la vie, c’est-à-dire le sang”. Il ajoute : “Votre sang aussi, qui est votre vie, j’en demanderai compte”, puis il condamne le meurtre (Gn 9, 3-6). » Site des Témoins de Jéhovah, Le sang : essentiel à la vie. https://www.jw.org/fr/bibliothèque/livres/Comment-le-sang-peut-il-vous-sauver-la-vie/Le-sang-essentiel-à-la-vie/.

4

Voir la déclaration du consistoire en assemblée plénière du 3 juillet 1997. Garraud O. La symbolique du sang et la transfusion sanguine chez les Témoins de Jéhovah. Hématologie 2009 ; 6 : 465.

5

Cour européenne des droits de l’Homme, 30 juin 2011, Association les Témoins de Jehovah contre France, req. n° 8916/0511 ; Conseil d’État, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ Association Locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Clamecy, 23 juin 2000, n° 215109.

6

Tous les verbatims sont issus des entretiens d’éthique clinique menés par le Cec.

7

« Si l’option de conscience doit être défendue, afin que le praticien ne se voit imposer la réalisation d’un acte qui le heurte, elle ne saurait justifier qu’au nom de ses convictions il accomplisse un acte refusé en conscience par le patient ». Vialla F. Refus transfusionnel. Médecine et droit 2022 ; 177 : 103.

8

« L’adaptation des pratiques professionnelles aux pratiques culturelles ou religieuses du patient est considérée par les soignants comme un aspect important de leur métier, dont l’objectif est de réaliser le soin dans les meilleures conditions possibles. ». Bertossi C. La « diversité » à l’hôpital. Identités sociales et discriminations raciales dans une institution française. Étude du Centre Migrations et Citoyennetés de l’Ifri, 2011, p. 3.

9

À ce taux d’hémoglobine, un patient présente de grands risques de complications ischémiques (infarctus de toute sorte) liées au manque de globules rouges, faisant discuter une transfusion en urgence.

10

« Le consentement vient après : c’est dire oui après avoir pu dire non ». Ameisen JC. In Hirsch E. Traité de bioéthique. Tome III : Handicaps, vulnérabilités, situations extrêmes. Paris : Erès, 2010, p. 15.

11

Par ailleurs, l’information ne devrait pas seulement porter sur la mort éventuelle, risque minime dans bien des cas, mais sur des risques plus fréquents de handicaps futurs si la transfusion n’est pas réalisée (par exemple : une insuffisance rénale nécessitant une dialyse au long cours).

12

Direction générale de la santé, Circulaire DGS/SQ 4 « relative à l’information des malades en matière de risques liés aux produits sanguins labiles et aux médicaments dérivés du sang, et sur les différentes mesures de rappel effectuées sur ces produits sanguins », n° 98-231, 9 avril 1998.

Références

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  2. Beauchamp TL, Childress JF. Principles of biomedical ethics. Oxford: Oxford University Press, 2001, 454 p. [Google Scholar]
  3. Fournier V, Foureur N. Éthique clinique. L’éthique clinique en 10 cas. Malakoff : Dunod, 2021, 240 p. [Google Scholar]
  4. Barbot J. Entre volonté du patient et nécessité médicale. Les médecins face au refus de transfusion. JGES 2009; 27 : 123–33. [Google Scholar]
  5. Batteur A. L’absence de toute force obligatoire des directives anticipées. D 2022; 25 : 1267–69. [Google Scholar]
  6. Quivigier PY. Du droit au consentement. Sur quelques figures contemporaines du paternalisme, des sadomasochistes aux Témoins de Jéhovah. R Pol 2012; 2 : 79–94. [Google Scholar]
  7. Choury JP, Grimaud D. La laïcité dans les établissements de santé. ADSP 2016 ; 95 : 5–10. [Google Scholar]

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