À elle seule, la délétion de p53 suffit à induire un cancer du foie ! (brèves ; 25/06/2012)

© Inserm - Bruno Clément
Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est une tumeur primitive du foie très hétérogène sur le plan moléculaire. Ainsi, plus de 20 % des CHC présentent une mutation du gène suppresseur de tumeur TRP53, en association avec une instabilité génomique et un pronostic plus sévère. Ces tumeurs dont TRP53 est mutée expriment une signature de « cellules souches » [1], renforçant l’idée qu’une cellule souche - ou progénitrice - pourrait être à l’origine du processus tumoral. Or, le gène suppresseur de tumeur TRP53 est également connu pour limiter l’autorenouvellement de cellules souches dans différents tissus. L’équipe allemande de Lenhard Rudolph a donc cherché à savoir si la délétion de ce gène, lorsqu’elle est induite sélectivement dans les hépatocytes, était en soi tumorigène [2]. Chez la souris, l’invalidation conditionnelle hépatique de p53 dès 10 jours de vie embryonnaire induit le développement de tumeurs du foie en 14 à 20 mois avec une forte pénétrance, supérieure encore chez les mâles. Les cellules tumorales expriment des marqueurs hépatocytaires comme l’albumine, cholangiocytaires comme CK19, ou de cellules progénitrices comme Ov6. Des cellules issues des tumeurs p53-/- et triées sur l’expression ou l’absence d’expression de marqueurs de cellules souches comme CD133, CD90, CD13 ou ckit, ont la même tumorigénicité quand elles sont réimplantées in vivo chez l’animal immunodéprimé, suggérant que leur potentiel tumoral n’est pas restreint à une sous-population cellulaire donnée. Les cellules progénitrices hépatiques non tumorales issues de ces souris dont le gène p53 est invalidé maintiennent leur bipotence avec l’âge, contrairement à leurs homologues sauvages. En revanche, elles expriment, comme les hépatocytes primaires p53-/-, une instabilité chromosomique. Enfin, le potentiel tumoral de ces cellules progénitrices ou d’hépatocytes issus de souris p53-/- âgées de deux ou huit mois, testé in vivo chez la souris immunodéprimée, augmente avec l’âge. Ces observations ne permettent pas néanmoins de discriminer entre les deux hypothèse en lice sur l’origine cellulaire de la tumeur : cellule souche ou dédifférenciation d’un hépatocyte. En effet, qu’elles proviennent d’hépatocytes ou de cellules progénitrices, les tumeurs qui se développent in vivo après transplantation de ces deux types de cellules sont identiques à celles qui se développent in vivo chez l’animal p53-/-. Il s’agit donc là de la première démonstration que la seule délétion de p53 est protumorale dans un organe solide comme le foie, ce qui n’est pas le cas dans l’intestin ou le cerveau. Les mécanismes à l’origine de cette transformation restent à découvrir, mais on peut déjà supposer que les anomalies chromosomiques observées y jouent un rôle majeur.
Hélène Gilgenkrantz
Institut Cochin, Paris, France
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Références
- Woo HG, et al. Gastroenterology 2011 ; 140 : 1063-70.
- Katz SF, et al. Gastroenterology 2012 ; 142 : 1229-39.
Histoire de la pomme à travers les âges (brèves ; 25/06/2012)

© Wikimedia commons
En 2010, après celui du raisin et du concombre, le génome de la pomme était décrypté [1, 2]. Il s’agissait de la Golden delicious, choisie parmi les nombreux cultivars de Malus domestica. Cette pomme domestiquée est le résultat d’une longue histoire. Au début de l’ère tertiaire, lors du soulèvement de l’Himalaya, au Kasakhstan, sur les pentes du Tian Shan (les montagnes célestes), Malus sieversii, le pommier des origines se développe. Il sera le principal progéniteur de Malus domestica. Mais il était important de suivre l’évolution des pommiers au cours du temps, depuis que les marchands ont emmené ces fruits avec eux le long de la route de la soie dans toute l’Asie et en Europe. Plusieurs équipes françaises (dont celle de Tatiana Giraud, UMR8079 à Orsay), associées à d’autres groupes (belge, néerlandais, arménien, russe et chinois), viennent d’analyser de façon plus exhaustive l’histoire de la pomme domestiquée [3]. À l’aide de marqueurs microsatellites, les chercheurs ont étudié des échantillons de cinq espèces de pommiers (839 arbres depuis la Chine jusqu’à l’Espagne) : M. domestica, M. baccata (en Sibérie), M. orientalis, M. sierversii et M. sylvestris. Vingt-six microsatellites situés sur les 17 chromosomes (nombre haploïde du génome de la pomme) ont été choisis pour analyser les variations génétiques et les différences entre les cinq espèces de pommiers. Les résultats montrent clairement qu’en plus de M. sierversii, les pommiers sauvages (crabapple), particulièrement M. sylvestris, ont aussi été des contributeurs importants au cours des siècles. Il est possible que ces pommes aient été utilisées pour la fabrication du cidre avant que les Romains introduisent des pommes « douces » en Europe. À l’époque de Charlemagne, au IXe siècle et au siècle suivant, de nombreux pommiers ont été plantés pour produire cette boisson et les cultivars à cidre sont peut-être des hybridations entre M. sylvestris et des pommes douces. Les pommes amères domestiquées entrant dans la fabrication du cidre sont acides et très riches en tanins, comme les pommes sauvages européennes. Pourtant, elles ne comportent pas plus d’allèles de M. sylvestris que les pommes à couteau. Comme il existe des variétés avec des goûts très divers parmi les pommes sauvages d’Asie, on peut supposer que certaines ont été sélectionnées pour la production de cidre. Cette étude, très documentée, est intéressante car elle porte sur les arbres fruitiers, alors que jusqu’à présent, le suivi de l’évolution des plantes et de leur domestication avait surtout porté sur des espèces annuelles (comme le tournesol par exemple) dont le processus de domestication apparaît très différent, sans contribution de multiples espèces sauvages. Elle montre aussi qu’il est important d’identifier et de conserver les pommiers sauvages en les réimplantant en milieu agricole. Ils peuvent encore posséder des ressources génétiques insoupçonnées.
Simone Gilgenkrantz
médecine/sciences
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Références
- Gilgenkrantz S. Med Sci (Paris) 2011 ; 27 : 151.
- Velasco R, et al. Nat Genet 2010 ; 42 : 833-9.
- Cornille A, et al. PloS Genet 2012 : 8 : e100273.
TYRP1 chez les enfants blonds des îles Salomon (brèves ; 25/06/2012)

Blond Vanuatu boy
(© Graham Crumb)
Dans certaines îles du Pacifique, en Mélanésie (îles noires), certains enfants sont blonds. Leur peau a la même pigmentation foncée que les autres Mélanésiens. On avait supposé que ce caractère était la conséquence de métissages survenus dans le passé avec des explorateurs ou des colons venus d’Europe. Dans l’archipel des îles Salomon, la prévalence des enfants blonds est particulièrement élevée (5 à 10 %). Après avoir examiné 918 Salomoniens dont la pigmentation des cheveux a été mesurée par spectrométrie, un groupe de chercheurs a réussi à obtenir des prélèvements de salive de 43 personnes à cheveux blonds et de 42 personnes à cheveux foncés - avec parfois, en plus du consentement des personnes ou des familles, l’autorisation des chefs locaux [1]. Puis, une étude de GWAS (genome wide association) a permis très rapidement de trouver une région significative (avec un polymorphisme SNP élevé entre blonds et bruns) en 9p23. Or, cette région contient le gène TYRP1 (ou catalase B), un des gènes impliqués dans l’albinisme oculocutané (OCA), et responsable de l’OCA3. Les formes cliniques d’OCA3 - moins sévères que les formes OCA1 (dues à une mutation du gène TYR qui produit la tyrosinase) et OCA2 (dues à une mutation du gène P qui produit une protéine membranaire) - sont principalement l’albinisme rufous et l’albinisme brun. L’albinisme rufous (ou roux), tyrosinase positive, a été rapporté dans les populations noires d’Afrique du Sud et du Nigeria. Quand la mutation est hétérozygote, avec perte d’expression du gène sur un seul allèle, la sensibilité au soleil est moins sévère et des pigments sont présents dans la rétine. Les formes homozygotes ou hétérozygotes composites sont plus sévères. Chez les enfants blonds des îles Salomon, le séquençage des exons de TYRP1 a montré une mutation R93C dans l’exon 2 (substitution d’une arginine par une cystéine). Or, le même type de mutation, en l’occurrence R38C, sur le gène orthologue Tyrp1 murin, est observé dans le phénotype « brun clair » chez la souris. Comme le fonctionnement de Tyrp1 a été bien étudié, avec activité catalase dans les cellules pigmentaires murines, il sera intéressant de reprendre l’étude chez l’homme où il ne semble pas exister d’activité DHICA oxydase (acide 5,6-dihydroxyindole-2-carboxylique) [2] et de comprendre pourquoi, le plus souvent, la diminution de la pigmentation n’atteint que les cheveux. Mais, contrairement à certains pays d’Afrique où les albinos sont discriminés, les Salomoniens blonds ne le sont pas. L’idée que leur phénotype relève d’une pathologie serait fort regrettable, d’autant que dans l’étude que nous venons d’évoquer, la blondeur des sujets étudiés ne s’explique que dans un peu moins de la moitié des cas.
Simone Gilgenkrantz
médecine/sciences
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Références
- Kenny EE, et al. Science 2012 ; 336 : 554.
- Boissy RE, et al. Exp Dermatol 1998 ; 7 : 198-204.
Comment les abeilles perdent le sens de l’orientation (brèves ; 25/06/2012)

© Syndicat d’apiculture du Rhône
Une désorganisation des ruches et la disparition des abeilles (Apis mellifera) sont observées partout dans l’hémisphère nord. L’emploi de pesticides semble une cause majeure quoique non unique. Les élevages modernes ont en effet été localisés à proximité de champs de colza, de maïs ou de tournesol dont le traitement par des pesticides diffuse vers le nectar et le pollen, exposant directement les abeilles ouvrières qui, au retour, contaminent l’ensemble de la ruche. Des mesures ont été prises pour éviter des doses létales, mesures qui semblent cependant insuffisantes. Une équipe de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) d’Avignon montre dans un travail récent comment des doses sublétales de pesticides néonicotinoïdes induisent des troubles de mémoire et d’orientation [1]. On sait que ces produits sont des agonistes des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, susceptibles de provoquer ce type de troubles. La disparition des abeilles serait due à ce que les ouvrières ne retrouvent plus le chemin de la ruche (mhf, homing failure). Dans un premier temps, les auteurs ont évalué la mortalité entraînée par cette désorientation : dans une région céréalière, 653 abeilles ouvrières, nourries par une solution sucrée contenant une dose sublétale de tiaméthoxam - qui simule les pesticides -, ont été marquées par un système de radio fréquence, et leur retour à la ruche mesuré par un détecteur. On a ensuite discriminé mhf des autres causes de non-retour, mortalité naturelle ou prédation, par comparaison avec une série témoin n’ayant reçu qu’une solution pure de sucrose. Dans les deux expériences, les auteurs ont étudié le retour des abeilles à partir d’un site situé à environ un km de la ruche, distance habituelle de parcours des ouvrières, où ils avaient semé une mauvaise herbe bleue (Phacelia tanacetifolia) très appréciée et aisément détectable. La différence de mortalité due au nonretour des ouvrières par comparaison avec les témoins est très nette (p<0,001). Comparée à la durée de vie normale d’une ouvrière (6,5 jours), on constate après intoxication une probabilité de mourir deux fois supérieure. Ce taux est nettement plus élevé chez les ouvrières ne connaissant pas encore le trajet que chez celles qui en ont l’habitude. L’introduction de cette mhf dans la dynamique d’une ruche introduit donc une déviation majeure dans cette organisation à laquelle contribue aussi un second facteur, saisonnier, la ponte quotidienne de la reine et le nombre d’ouvrières non encore habituées. Afin de vérifier la généralisation de ces observations, les auteurs ont répété l’expérience dans des sites suburbains : la différence y était retrouvée quoique moins accentuée. En tenant compte des différents paramètres, le calcul théorique de scénario a montré qu’en saison de floraison, les populations des colonies situées à proximité des nectars toxiques subiraient un déclin très marqué qui serait ensuite insuffisamment compensé par le recrutement de nouvelles ouvrières. Ce travail montre donc que des doses communément employées et non létales de thiamétoxam ont un impact sur la survie des abeilles ouvrières en les désorientant, surtout quand elles sont encore ignorantes de l’environnement.
Dominique Labie
Institut Cochin, Paris, France
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Références
- Henry M, et al. Science 2012 ; 336 : 348-50.
Les parasitoses intestinales, une pandémie négligée (brèves ; 25/07/2012)

© Inserm - Yves Pouliquen
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la charge attribuable au manque d’eau, de moyens d’assainissement et d’hygiène équivaut à 1,8 million de décès et à la perte de plus de 75 millions d’années de vie en bonne santé. Les parasitoses intestinales sont directement liées à ces conditions environnementales défavorables car transmises par ingestion ou par voie transcutanée, principalement dans les pays à faibles revenus ayant un accès limité à l’eau potable. Depuis de nombreuses années, les États-Unis ont mis en place des contrôles sanitaires dans leur processus d’immigration. En 1999, un traitement antiparasitaire par une dose unique de 600 mg d’albendazole est systématiquement proposé aux réfugiés Africains et du sud-est asiatique avant le départ de leur pays. L’albendazole est un antiparasitaire de la classe des benzimidazolés, généralement actif sur les nématodes et inactif sur les protozoaires. Après sa métabolisation hépatique en dérivé sulfoxide, l’albendazole agit en inhibant la polymérisation de la tubuline et la captation du glucose par les parasites. Il en résulte un effet larvicide, ovicide et antiparasitaire sur les vers adultes. Un article récent paru dans le New England Journal of Medicine compare les populations parasitaires intestinales chez les réfugiés ayant reçu de l’albendazole à partir de mai 1999 jusqu’en 2007 à ceux qui n’en ont pas reçu avant cette date [1]. Près de 27 000 réfugiés ont été évalués. Environ 20 % d’entre eux, pour lesquels on dispose d’au moins un examen parasitologique des selles analysable, ont un parasitisme intestinal. Les espèces rencontrées sont principalement les nématodes : agents de l’ankylostomose (Necator americanus, Ancylostoma duodenale), de l’ascaridiose (Ascaris lumbricoides), de la trichocéphalose (Trichuris trichiura), de l’anguillulose (Strongyloides stercoralis), protozoaires tels que Giardia intestinalis et par les nématodes de 77 % après une dose d’albendazole, et spécifiquement une réduction respective de 93 et 96 % des ascaridioses et ankylostomiases. Dans la population des moins de 15 ans, la prévalence de giardiase, ascaridiose et trichocéphalose est significativement plus élevée que dans la population des adolescents et adultes. Ceci est possiblement dû à l’acquisition d’une immunité relative avec l’âge pour ces parasites, à la fois par la production d’anticorps spécifiques et par l’immunité adaptative de type Th2 [2]. Un autre résultat intéressant est celui de la prévalence masculine dans la population infectée. Les auteurs arguent d’occupations différentes entre homme et femmes, signifiant une relation sociologique particulière à l’environnement selon le sexe de l’individu. Cependant, pour d’autres pathologies comme les infections fongiques invasives, la susceptibilité liée au sexe est démontrée dans des études épidémiologiques [3, 4]. D’autre part, des travaux expérimentaux in vivo menés chez des rats infectés par Strongyloides venezuelensis démontrent que les oestrogènes ont un effet protecteur antiparasitaire alors que la testostérone accroît la susceptibilité au parasite [5]. Face à ce problème majeur de santé publique qu’est le parasitisme intestinal, une réponse durable pourrait être apportée par la compréhension des mécanismes immunitaires mis en jeu, plus que par l’utilisation d’antiparasitaires, dont l’efficacité est certes prouvée, mais qui n’empêche pas la réinfestation dans les zones endémiques.
Blandine Rammaert
Service des maladies infectieuses et tropicales
Hôpital Necker-enfants malades, Paris, France.
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Références
- SwansonS SJ, et al. N Engl J Med 2012 ; 366 : 1498-507.
- Harris NL, Trends Parasitol 2011 ; 27 : 288-93.
- Dromer F, et al. AIDS 2004 ; 18 : 555-62.
- Lanternier F, et al. Clin Infect Dis 2012 ; 54 : S35-43.
- Rivero JC, et al. J Vet Med Sci 2002 ; 64 : 519-21.