Organe du toucher, syndrome de Usher et synesthésies (brèves ; 19/12/2012)

usher_et_synesthesies © Jean-Michel Hupé

Les organes sensoriels nous mettent en contact avec le monde extérieur. L’ouïe et le toucher sont deux systèmes sensoriels munis de récepteurs capables de transformer la force mécanique en signaux électriques. Mais, alors qu’on connaît actuellement plus de 60 gènes impliqués dans l’audition, on ignore presque tout de la génétique du toucher. Si l’on exclut l’insensibilité congénitale à la douleur, maladie très rare et bien explorée sur le plan moléculaire (OMIM 147430, 243000, 256800), on ne connaît à présent qu’un seul gène intervenant dans la sensibilité tactile, le gène c-MAF. Chez la souris, l’invalidation du gène c-Maf empêche le développement normal des corpuscules de Pacini. Chez l’homme, les mutations de c-MAF ont été décrites dans des familles avec trouble du développement oculaire et cataracte. Dans une publication récente [1], un groupe de chercheurs vient de confirmer le rôle du facteur de transcription c-MAF dans la sensibilité cutanée, à la fois chez la souris et chez l’homme. Il intervient dans le développement des mécanorécepteurs spécialisés dans la détection des vibrations rapides. Dans une famille dont quatre sujets ont une mutation dominante de c-MAF, les tests de perception des vibrations rapides montrent une diminution nette de la perception de ces vibrations. Qu’en est-il des autres gènes du toucher ? Une équipe de chercheurs allemands et espagnols vient d’apporter une réponse, partielle mais néanmoins intéressante, à cette question [2]. Après avoir mis au point des tests sensoriels quantitatifs - reproductibles chez plusieurs centaines de témoins, et en tenant compte des variations avec l’âge et le sexe - une étude de jumeaux (sur 100 paires dont 66 monozygotes) a d’abord confirmé l’intervention de facteurs héréditaires dans la sensibilité tactile (protopathique, épicritique, thermique, vibratoire, ainsi que le baroréflexe)1. Les auteurs se sont ensuite demandé si, bien qu’ils soient distincts, l’ouïe et le toucher ne pourraient utiliser les mêmes protéines sensorielles et si certains gènes ne seraient pas capables d’intervenir sur ces deux organes des sens. Ils ont donc effectué aussi des tests d’acuité auditive sur l’ensemble des sujets et ont observé que les sujets ayant une acuité auditive excellente ont plus fréquemment une acuité tactile élevée. Ils ont ensuite étudié des sujets sourds congénitaux et des malvoyants ou non voyants. Le groupe des sourds avait une sensibilité tactile diminuée par rapport aux témoins. En revanche, celle-ci était augmentée chez les malvoyants. Enfin, ils ont étudiés 65 malades atteints de syndrome de Usher. On sait que cette maladie, autosomique récessive, associe une surdité neurosensorielle congénitale ou très précoce à une rétinite pigmentaire progressive. Il en existe trois types cliniques, le type 2 étant le plus fréquent. Les 65 malades étaient de type 2, dont 36 avaient au moins un allèle mutant pour le gène USH2A. Ce groupe avait une acuité tactile diminuée de façon statistiquement significative. Il se pourrait donc que l’usherine puisse intervenir à la fois dans l’ouïe et le toucher. Si c’est le cas, on se rapproche des synesthésies2 [3] et du frisson de plaisir en écoutant de la musique qu’a si bien évoqué Jean-Claude Ameisen dans une des ses passionnantes émissions sur france inter [4].

François Flori
médecine/sciences
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1 La sensibilité extéroceptive est la sensibilité des téguments (originaires de l’ectoderme). On distingue le tact épicritique - fin, très différencié (sensibilité extéroceptive épicritique) - et le tact protopathique, grossier, non discriminant (sensibilité extéroceptive protopathique)
2 Deux perceptions simultanées à la stimulation d’un seul sens (exemple en poésie : « Voyelles » de Rimbaud).

Références

  1. Wende H, et al. Science 2012 ; 335 : 1373-6.
  2. Frenzel H, et al. PLoS Biol 2012 ; 10 : e1001318.
  3. Hupé JM. Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 765-71.
  4. Ameisen JC. Sur les épaules de Darwin (france inter, 23 juillet 2011).